La lumière du soleil baignait de ses rayons le balcon où se tenait l’adolescente qui avait forcé la trame de l’Histoire. Son peuple, puisque désormais c’était bien le cas, vit pour la première fois ce visage jusqu’ici caché par un masque d’argent. Et il s’avéra que c’était bien celui d’une jeune fille, bien qu’elle eut des traits durs et virils.
Ses traits ne détonaient en rien, et nul ne comprit pourquoi il avait fallu les soustraire aussi longtemps. Pas d’infirmité honteuse, de cicatrice dévisageante, mais une langueur évidente, sur une face sans grâce mais pas laide non plus. Un physique tout à fait banal en somme, un teint légèrement hâlé, et de petits yeux inexpressifs.
Personne ne pouvait s’imaginer qu’elle était la responsable du massacre qui venait de se perpétrer au palais. Les rumeurs les plus folles commençaient déjà à circuler. On disait qu’elle avait eu recours au poison lors d’un repas, d’autres prétendirent qu’elle avait fait appel à la garde pour les poignarder à mort. Mais comment avait-elle pu rallier l’armée à sa cause, elle, une simple enfant ?
Le silence se fit lorsque la bouche de la jeune fille s’ouvrit. Tout le monde attendit le premier mot qui en sortirait.
Un souffle.
« Moi… » Voix mal assurée. Silence. Elle reprit d’un ton plus affirmé : « Moi, Sylgrid, ait pris le pouvoir et nous ai débarrassé de ceux qui menaçaient notre liberté, et jusqu’à nos vies mêmes. »
Ses paroles étaient répercutées à l’aide d’une bouche artificielle qui amplifiait les sons les sons, une nouvelle invention.
La suite se fit attendre quelques moments.
« J’ai eu vent d’une conspiration, d’un plan machiavélique et diabolique consistant à tous nous abandonner face à la Grande Illumination. Je ne pouvais pas les laisser nous condamner ainsi à mort. J’en ai informé Horestia, notre Générale en cheffe, et avec son aide, nous avons déjoué ce plan ignoble et puni leurs instigateurs. »
Les fenêtres de part et d’autre du balcon s’ouvrirent. Des cadavres en furent jetés, qui s’écrasèrent lourdement sur le sol deux étages plus bas.
Les corps ne portaient aucune trace de violence, prouvant que leur mort fut rapide si pas instantanée.
La foule assemblée devant l’édifice était sidérée. Le silence était terrifiant et consistant. Horestia se plaça à la gauche de Sylgrid. Chacun put entendre le moindre de ses pas. Sans que la masse ne s’en rende compte, les escadres du Palais l’avait encerclé.
Alors la nouvelle Arkhonte déclara d’une voix forte, du feu dans les yeux : « J’abolis l’Arkhontat. Dorénavant, je serai la Grande Adoratrice, celle qui évitera la catastrophe ultime en ressuscitant l’ancien culte au Soleil ! »
Elle se tourna, bras levés et paumes dirigées vers le ciel, dans la direction de l’astre brûlant, tandis que le Révérend apparut à sa droite.
Horestia s’exclama : « Désormais, pour rendre hommage à votre Grande Adoratrice, il conviendra de faire ceci. »
Et elle se tapa vigoureusement la poitrine de sa main droite puis la ramena sur le front, paume vers l’extérieur, majeur et annulaire repliés.
« Ceci exprime la force, ceci exprime la lumière qui se fraie un chemin au milieu des ténèbres, ceci exprime l’espoir. »
Elle refit le salut et exhorta tout le monde à faire de même. Certaines personnes le firent de suite, avec un regard fanatique.
Ceux qui virent ces scènes de leur écran de télévision n’en revinrent pas. Une enfant de treize ans avait subjugué la cheffe des armées et toute une population déjà fragilisée par les derniers évènements.
« Et maintenant, les prisonniers », lança l’autoproclamée Grande Adoratrice en se retournant vers eux. Son regard mauvais perça le cœur de Tancrède.
Prisonnier… Le mot claqua comme un fouet. Il n’avait plus été utilisé depuis des années. Mais Tancrède et les autres durent s’y résoudre : ils étaient désormais les otages d’une folle, comme tout le peuple de Pleroma.
« Vous me prenez pour une cinglée, n’est-ce pas ? », ricana-t-elle.
Tancrède se sentit désarmé. Lui, Glydis, Vanya et Syphax étaient juchés sur une colonne dont on ne savait si elle était de pierre ou de métal, mais qui faisait bien cinquante mètres de haut. Ils étaient pile au centre de la Grand-Place.
De part et d’autre, des colonnes semblables, avec d’autres résidents sortis de force du Redemptoris.
À gauche, un groupe de jeunes hommes, dont celui qui paraissait en être le meneur, avait le visage salement amoché.
À droite, la petite dame fripée, totalement terrorisée, accompagnée d’un vieil homme à l’air roublard, et une jeune fille fluette pleine de tatouages et de morgue.
À ce moment, le ciel s’éclaircit et la chaleur monta d’un cran. Les personnes assemblées sur la place tentèrent de se protéger en mettant une main en visière sur le front. Les premiers évanouissements se produisirent.
« Répondez ! », clama Sylgrid.
« Regardez le dieu Soleil, il nous guide, il nous parle, il va nous mener à la rédemption ! Mais avant, il nous demande de le guérir. Il est malade de toute l’iniquité, de toute la bassesse, de tous les péchés des habitants de Pleroma. Il est temps que cela cesse ! », hurla-t-elle encore.
« Et qui de mieux pour remplir cette mission que celles et ceux qui en sont les plus responsables ? »
Ces dernières paroles furent prononcées d’une voix caverneuse et traînante.
Le peuple, qui semblait désormais fanatisé, exultait et se tourna comme un seul corps vers les colonnes.
« Qu’allons-nous leur demander ? », se moqua la Grande Adoratrice.
« Ils vont devoir se démener pour trouver le remède. Et ce remède existe, croyez-moi ! »
Elle retint son souffle.
« Pendant qu’Anselme et Blemnis péroraient et se pavanaient, j’ai fait des recherches en m’associant aux meilleurs scientifiques de Pleroma. »
Tout le monde se souvint qu’en effet, l’enfant Sylgrid était réputé pour être doué d’une intelligence exceptionnelle, et qu’à un âge très précoce, il écrivait des thèses qui faisait l’admiration ou la jalousie de tout le milieu académique.
« Et nous sommes arrivés à la conclusion…que ce remède doit se trouver dans la Réserve. »
La Réserve, le territoire dévasté par la météorite et la guerre nucléaire. Personne ou presque n’avait plus osé s’y aventurer depuis des années. Les quelques intrépides qui s’y étaient risqués n’en étaient pas revenu. On disait que les radiations y étaient encore si fortes qu’un homme adulte et robuste n’y survivrait pas plus d’un quart d’heure. On y parlait de monstres, de mutants… On disait que c’était la terre des bannis et des renégats.
« Kentaurus. » C’est par ce nom que Sylgrid brisa le silence funèbre qui s’était à nouveau installé depuis son annonce.
« Il commandait aux astres. Il a pu faire tomber un météore quand et où il l’a voulu. Nous sommes persuadés qu’il y a une explication scientifique à cela, et qu’il faille pour cela affronter la Réserve. »
Tancrède et les autres défaillirent. Avaient-ils bien compris ? On leur demandait de se rendre dans un territoire irradié et redevenu totalement sauvage. Cela équivalait à une peine de mort.
Cette fois, ce ne fut pas le silence mais l’exaltation de la foule qui accueillit cette nouvelle. La menace qui pesait sur tout Pleroma et au-delà allait-il être conjuré par le sacrifice de ces pauvres bougres ? L’espoir, en tout cas, était permis.
« Soyez maudits, soyez maudites ! », hurla la petite dame fripée.
Mais personne ne sembla l’entendre.
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