TANCREDE
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Un homme regardait le soleil se lever depuis la fenêtre de sa chambre. Il s’appelait Tancrède et c’est notre premier héros. Il était à l’âge où les idéaux de la jeunesse sont désormais inaccessibles mais où de nouveaux rêves sont encore possibles. Ni beau ni laid. Un corps repu d’une vie bien consommée mais pas trop. Certains lui trouverait du charme et de la sensualité.
Il regarda pendant un long moment l’astre passer du rose vermillon à un orangé étincelant, puis il se retourna pour contempler la beauté de ce nouveau jour se refléter dans la pièce. Tout baignait dans une lueur apaisante, et cela le rendit heureux. La chambre n’était pas richement meublée, mais elle correspondait à son état d’esprit. Sobre et pratique. Un lit pour deux, pourvu d’un cadre métallique légèrement ouvragé, une table de nuit du même style supportant une pile d’ouvrages d’ésotérisme, une armoire à moitié vide, l’autre moitié consistant en quelques vêtements sans fioritures, chemises, pantalons, quelques pulls de mi-saison. Dans un tiroir, des sous-vêtements, dans un autre, quelques ensembles pour la nuit.
La lueur disparut, et il s’arracha à ce moment d’extase.
« Papa, ça va ? »
N’obtenant pas de réponse, il se rendit dans la pièce voisine. Un homme plus âgé, qui avait le même visage que lui, mais beaucoup plus travaillé par le temps, était assis sous une sorte de cloche, comme celles qu’utilisaient jadis les arrangeurs capillaires. Le léger ronronnement de la machine avait couvert la demande de son fils.
Tancrède s’approcha de son père, qui semblait dormir, et répéta la question.
« Papa, ça va ? »
Le vieil homme sursauta et ouvrit les yeux. Il regarda son fils avec un air d’ahurissement qui fit peur à celui-ci.
« Tu sais qui je suis ? »
« Mais bien sûr », répondit l’homme sous cloche avec une légère exaspération dans la voix. « Tu crois que j’en suis au stade où je ne reconnais plus mon fils ? »
Tancrède savait que ce stade avait déjà été atteint. Mais la cloche des souvenirs, cet appareil nouvellement inventé pour traiter les mémoires déficientes, lui restaurait sa lucidité pour un temps plus ou moins long. Mais Tancrède savait que la maladie continuerait de progresser, et que les périodes de rémission seraient de plus en plus courtes, cloche ou pas cloche.
Malgré les progrès fulgurants de la science ces dernières décennies, le déclin des fonctions cognitives lié à la vieillesse du corps et de l’esprit était toujours une réalité dans ce monde. Dans le cas de Maxence, le père de Tancrède, cela s’était déclaré au décès de son épouse, trois ans plus tôt. Le trouble était sans doute sous-jacent, mais le choc du deuil en avait révélé l’ampleur et les dégâts.
Depuis, Tancrède veillait sur son aïeul, et s’était procuré cette cloche en rognant sur ses moyens. On l’appelait aussi la coiffe de Mnémosyne, du nom de l’antique déesse de la mémoire.
De déesse, il n’y en avait plus, pas plus que de dieu, ou d’une autre puissance spirituelle. Ainsi en avait décidé l’Arkhonte.
Depuis le Grand Renversement, tout ce qui rappelait de près ou de loin le moindre sentiment religieux était voué aux gémonies. Ce sont les guerres de religion qui avaient fait basculer l’ancien monde dans le chaos. C’est la Science pure et dure qui l’en avait sorti. Cela ne signifiait pas que la nouvelle ère était froide et sans âme, mais le temps du dogmatisme était révolu.
C’est pour ça que Tancrède devait se montrer très vigilant. Il risquait une très forte amende, voire la prison si son manège était révélé au grand jour.
« Puisque tu te souviens de tout, je ne dois pas te rappeler alors que Madame B vient dans trois quart d’heure ? », ironisa-t-il à l’adresse de Maxence.
Celui-ci s’était rendormi sous sa cloche.
Tancrède haussa les épaules et se dirigea dans la salle de bains.
Comme le reste de l’appartement, elle était petite mais chaleureuse, avec ses reflets nacrés et chatoyants, les formes douces et courbes des morceaux de faïence lui servant de sanitaires, son ambiance ouatée et humide.
Il se lava le visage et entreprit de se tailler soigneusement sa barbe.
Sa toilette faite, il enfila une tenue appropriée pour l’accueil d’un visiteur, pantalon garance pas trop serrant et chemise crème suffisant large pour cacher son léger embonpoint. Aux pieds, des mocassins en faux cuir.
Il coupa Mnémosyne, et recoucha son père dans son lit. Le traitement était efficace, mais il fallait au patient un moment de récupération pour que les souvenirs se fixent.
« Quelle ironie », pensa une fois de plus Tancrède.
Tandis que son père perdait le fil de sa vie, lui, Tancrède, se souvenait de tout, ou plutôt VOYAIT tout. Non pas ses propres souvenirs, mais ceux des autres. Des fulgurances renvoyant à un passé lointain, au-delà même de la naissance des gens qui venaient le consulter. Tancrède se souvenait à la place des gens de moments appartenant à d’autres vies, d’autres corps, d’autres personnalités que celles et ceux qu’ils occupaient de nos jours.
Métempsychose : c’était le nom du phénomène, d’après ses bouquins. Il semble que l’âme survive à la mort du corps physique et se fixe sur une autre enveloppe en formation après un temps plus ou moins long.
Bien sûr, cela relevait du domaine de la croyance et non de la science. Et c’est la raison pour laquelle ce qu’il faisait était totalement interdit. Cela pourrait le faire passer pour une sorte de gourou ou de guide spirituel. Et ce genre de personnes étaient activement pourchassées par les troupes de l’Arkhonte en ce moment. Il semblait que la perspective de la Grande Illumination réveillât les peurs ancestrales et le besoin d’un réconfort mystique.
Il ferma la porte de la chambre de son père et attendit qu’elle vint.
Lui aussi se serait bien assoupi. La nuit avait encore été agitée. Une insomnie, une de plus…
Il s’assit sur son sofa préféré, et, d’un geste, ordonna à l’enceinte de s’allumer. Une voix suave, mi d’ici, mi d’ailleurs, commença à résonner dans la pièce et à ses oreilles. Ce chant l’apaisait et lui offrait une bulle de protection contre le monde extérieur et contre les peurs qui le rongent souvent.
Le sommeil est providence
Quand j’entonne la dernière danse
Celle qui viendra me délivrer
Des oripeaux bien trop fanés
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De quoi parle exactement la chanson, il n’en avait cure. Il avait bien tenté d’interpréter ces paroles sibyllines, mais l’exercice était trop ardu, comme toujours avec elle, et il y avait renoncé. De toute façon, ce qui l’intéressait surtout, c’était la douceur sauvage et irrationnelle du morceau qui l’attirait, nappée d’une musique toute en percussions, et le fait qu’il pouvait y projeter ses propres sentiments.
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Il venait à peine de sortir de sa bulle sonore que l’on sonnait à la porte de l’appartement. C’était sans nul doute Madame B, venue pour sa consultation hebdomadaire.
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Tancrède ne connaissait ni le nom ni le prénom de sa patiente. Vu les risques encourus pour eux à se trouver ici, les personnes qui le consultaient donnaient très rarement leur identité. Les milices de l’Arkhonte étaient partout.
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Une dame entre deux âges entra dans le salon de Tancrède. Ses cheveux colorés en rouge foncé étaient relevés en chignon. Elle portait un ensemble presque de la même couleur que la chemise de son hôte. Sa démarche était assurée, nerveuse. Son visage creusé trahissait les marques d’une vie qui n’avait pas toujours été facile. Elle devait faire plus que son âge.
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Après les politesses d’usage, elle s’assit en face de Tancrède.
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Celui-ci s’était assuré que son père dormait toujours et avait refermé doucement la porte de sa chambre. Il abaissa les stores afin de cacher la lumière désormais vive du jour. Une ambiance plus tamisée convenait davantage à ce qui allait se produire.
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Madame B était plus excitée que d’habitude. Elle parlait vite et avec de grands gestes.
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« Est-ce que vous pouvez retourner là où nous étions la dernière fois ? ».
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« Madame, je vous ai déjà expliqué que je ne maîtrise pas le phénomène. Les images s’imposent à moi sans que je ne demande rien. Je ne sais pas comment ça marche au juste, mais je ne choisis pas, c’est la seule chose dont je sois sûr ! ».
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En fait, il n’était même pas sûr que ce qu’il visualisait était bien réel. Était-ce réellement des images provenant de vies passées de ses consultants ? N’était-ce pas tout simplement des hallucinations d’un esprit malade ? Il avait songé à aller consulter, mais il aurait couru le risque de se faire arrêter ou enfermer.
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Ses patients, et ils étaient de plus en plus nombreux, étaient certains de la véracité de ces visions, et c’était là l’important.
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Certaines personnes étaient mues par la simple curiosité. Ils vivaient l’expérience avec un air amusé. Pour d’autres, comme Madame B, c’était une affaire autrement plus sérieuse. A travers ces visions d’un autre temps, elle pouvait s’échapper de sa vie présente, terne et monotone, et se projeter dans des existences fabuleuses et palpitantes.
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« Quand je pense que j’ai été une reine adorée de son peuple il y a plusieurs siècles… Pourquoi me suis-je réincarnée dans cette vie misérable ? », se lamenta-t-elle, comme à chaque fois qu’elle rendait visite à Tancrède.
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Tancrède n’avait bien sûr pas la réponse. Il ne comprenait pas le mécanisme de la métempsychose, si tant est qu’elle existait bien.
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« Bon, commençons », annonça-t-il.
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Son « don » (ou sa malédiction) s’était révélé à l’adolescence. En touchant certaines personnes, il avait commencé à voir se dessiner devant ses yeux des scènes d’autres époques. Des scènes en trois dimensions où des gens, habillés comme dans les siècles passés, se mettaient à vivre à son regard, à aimer, à se battre, à travailler pour leur survie, à donner des ordres, à mourir de toutes les façons possibles. Il en était à chaque fois traumatisé et restait hébété pendant des heures. Après l’image, le son et les odeurs s’étaient ajoutés à l’expérience. Des odeurs de fleurs, des odeurs de cuisine, des odeurs de corps en putréfaction sur des champs de bataille.
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Le pire était qu’il passait désormais pour fou. Il le comprenait très bien. Les gens le voyaient d’un coup se figer et rester là, les yeux grands ouverts, un air d’épouvante sur le visage.
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Ses parents eurent très peur pour la santé mentale de leur fils et avaient consulté un médecin. Devant la violence des crises, celui-ci avait ordonné son placement en institut spécialisé, où Tancrède avait été assommé à coups d'antidépresseurs et d’anxiolytiques. Il en était ressorti à moitié détruit.
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Le phénomène avait pourtant recommencé peu après mais Tancrède décida de le taire désormais. Il n’en avait plus parlé à personne.
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Aujourd’hui, c’était devenu son gagne-pain. Il avait même appris à le maîtriser.
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Il lui suffisait de toucher la personne, de se concentrer, et le film commençait…
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Madame B tendit son bras, et Tancrède y agrippa sa grosse main droite. Comme à chaque fois, Madame B frissonna.
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Il ferma les yeux et attendit. Lorsqu’il les ouvrit quelques secondes plus tard, le phénomène se produisit une fois de plus.
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Des ombres floues se dessinèrent sur les murs de l’appartement. Ces silhouettes prirent de l’épaisseur et se détachèrent du mur, chacune ayant sa vie propre. Le flou se dissipa et ces spectres prirent couleur et consistance. A présent, Tancrède visualisait la scène en trois dimensions. Les personnes paraissaient vivantes et il put distinguer des sons s’échappant de leurs bouches. Les mots appartenaient à une langue assurément très vieille, mais ressemblant aux dialectes encore usités dans la partie ouest du continent, face au grand océan froid et sauvage.
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Un décor de forêt sombre les entourait, si dense que le soleil avait du mal à en percer les frondaisons. Ces gens, principalement des hommes mais aussi quelques femmes, une trentaine en tout, portait des vêtements bariolés, pantalons larges et tuniques courtes pour les uns, robes tombant aux chevilles et manteaux de laine pour elles. Tout faisait vraiment penser à ces tribus barbares qui peuplaient le nord du continent en des temps immémoriaux, avant la vague civilisatrice venue du sud.
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Deux personnes se distinguèrent du reste de la troupe : une femme au visage buriné et ridé, au corps sec et maigre, à la dentition éparse et abîmée, au visage entouré d’une épaisse crinière rousse, ainsi qu’un jeune homme accroupi, les mains attachées dans le dos, un solide gaillard aux cheveux bien noirs, qui ne paraissait pas avoir vingt ans, mais dont le visage exprimait la plus vive terreur.
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Tancrède comprit que ce jeune homme était Madame B dans une incarnation encore plus ancienne que toutes celles qu’il avait déjà visitée.
« Alors, que voyez-vous ? », s’enquit-elle ?
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« Je suis remonté très loin, au-delà de tout ce que nous avons déjà visité ».
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Elle ne voyait rien, elle vivait la scène d’après ce que Tancrède lui en rapportait.
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« Dans cette vie, vous êtes une femme. Une femme de caractère, avec des cheveux roux hirsutes. Vous êtes entourée de guerriers qui ont l’air de vous craindre. Vous semblez être une sorte d’autorité spirituelle, une grande prêtresse, ce genre de choses. »
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Il vit le regard de Madame B devenir fier et extatique.
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« Vous êtes dans une épaisse forêt, entourée d’un groupe d’hommes en armes et de femmes. Tous ont l’air revêche et farouche. Au milieu se trouve un adolescent. Il est à genoux et a les mains liées dans le dos. Il à l’air d’avoir très peur… ».
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« Et que fait la femme rousse ? »
« Elle tient un couteau effilé. Je crois qu’elle s’apprête à tuer le jeune homme. »
« Oh, un sacrifice humain, je suppose ? A moins qu’il ne s’agisse de l’exécution d’un criminel… »
« Je ne sais pas… »
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Ce qu’il savait, en revanche, c’est qu’il mentait délibérément à Madame B. Bien sûr, elle n’avait pas été pas cette femme dominatrice, mais bien ce jeune homme apeuré, ça il en était sûr. Mais il avait décidé de lui dire ce qu’elle avait envie d’entendre.
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Il vit l’un des guerriers tenant une sorte de chaudron en bronze. Il le déposa aux pieds de la prêtresse. Puis quelqu’un d’autre força le jeune homme à se relever puis à se remettre à genoux devant la femme terrifiante, le visage juste au-dessus du chaudron. Le pauvre garçon criait mais personne n’en avait cure. Une sorte de chant monotone monta de l’assemblée, accompagné de battements de tambour faisant penser aux pulsations d’un cœur.
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D’un coup, la femme leva son couteau. Elle agrippa la victime par les cheveux, le forçant à mettre sa gorge à découvert, qu’elle lui trancha d’un coup sec. Les assistants devinrent hystériques tandis que ce qui sera bien plus tard Madame B agonisait par terre, le corps secoué de spasmes et le sang se répandant en grosses giclées dans le chaudron. Heureusement, il mourut en moins d’une minute.
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Et tout s’arrêta.
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Les visions de Tancrède concernaient toujours un moment bien précis de l’existence visualisée, toujours celui qui a été comme le climax de cette vie et qui était susceptible d’influer directement sur la présente.
Cette mort par égorgement pour satisfaire un rite païen cruel devait conditionner une partie de la personnalité de Madame B.
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Les fantômes disparurent d’un coup, et ce fut pour Tancrède comme si l’on avait rallumé la lumière dans la pièce. Comme à chaque fois, il se sentait exténué, bien que cela n’avait duré que quelques minutes et ne lui avait pas demandé d’efforts physiques importants. Mais l’investissement mental était colossal.
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Madame B, elle, jubilait. Une fois de plus, elle avait pu s’échapper de sa vie étriquée et s’évader dans des existences autrement plus romanesques que celle qu’elle vivait présentement, coincée entre un mari qu’elle n’était plus sûre d’aimer, des enfants ingrats et la monotonie d’une vie de mère au foyer. Chez Tancrède, elle existait, elle exultait, elle se sentait vivante et vibrante.
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Déçue que le temps soit passé si vite, elle se leva lentement, fouilla dans son sac et donna à Tancrède son dû.
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Avant de quitter les lieux, elle se tourna une dernière fois vers celui qu’elle considérait comme son thérapeute.
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« Vous croyez qu’on va s’en sortir ? »
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Tancrède savait de quoi elle parlait, tout le monde ne parlait plus que de ça.
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« Mais oui, ne vous inquiétez pas. Tout est prévu pour y faire face. Faites confiance à l’Arkhonte. Nous avons les outils nécessaires pour surmonter ça. »
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Madame B parut quelque peu rassurée et s’en alla.
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Son parfum trop soutenu flotta encore un peu dans la pièce puis s’estompa.
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Tancrède, là encore, lui avait menti. Lui aussi avait peur. Il regarda par la fenêtre, et plissa les yeux pour regarder le soleil. Tout paraissait normal, mais jusqu’à quand ? Quand le phénomène allait-il commencer ? Décidément, il vivait une bien drôle d’époque.
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La journée s’était avancée jusqu’à l’heure où les poissons-lunes s’affranchissent de l’océan. Tancrède s’apprêtait à se recoucher pour une sieste réparatrice quand on frappa violemment à la porte…
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Décontenancé, il mit du temps à réagir, et les coups redoublèrent d’intensité.
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Pensant à son père qui avait peut-être succombé à une crise cardiaque dans la pièce d’à côté, il se releva prestement et alla ouvrir.
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Un trio lui faisait face : une femme à queue de cheval, fine mais forte à en juger par les muscles de ses bras qui saillaient de sa tunique, un homme assez gringalet mais au regard perçant, et un deuxième homme type armoire à glace, aux cheveux ras et à l’air bougon. Tous les trois portaient la tenue des miliciens de l’Arkhonte. Plus précisément de la cohorte chargée de rechercher les contrevenants à l’interdiction de jouer au gourou. Les « chasseurs de dieu », des soldats de première catégorie, revêtus de la tunique rouge flamme et autorisés à arrêter quiconque semblait avoir pour but de réveiller les anciennes croyances.
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Tancrède savait la raison de leur présence. La dénonciation d’un voisin sans doute…
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Il voulut fermer la porte violemment mais la femme bloqua le lourd morceau de bois ouvragé et regarda Tancrède dans les yeux.
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« Monsieur Lysandre, vous savez pourquoi nous sommes là, n’est-ce pas ? »
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« Non, dites-le-moi toujours… »
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L’individu qui paraissait chétif entonna d’une vis étonnamment forte et solennelle :
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« Monsieur Lysandre, vous vous êtes rendu coupable de tentative d’endoctrinement et de pratiques ésotériques. Au nom de l’Arkhonte, vous serez sévèrement puni pour vos actes. Veuillez nous suivre… »
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Tancrède eut un mouvement de recul qui mit le groupe de miliciens sur le qui-vive.
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« Monsieur Lysandre, n’ajoutez pas la rébellion aux griefs qui vous accablent », dit la jeune femme, d’un ton calme et détaché.
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Le deuxième garde écarta les bras et un filet argenté fonça sur Tancrède. La soie du désespoir… Ainsi appelait-on parmi le peuple ce filet, semblable à une toile d’araignée, qui arrêtait net les espoirs de ceux qui tentaient de profiter de la crédulité populaire.
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Tancrède se retrouva englué, sans possibilité de s’échapper. Il sut que son sort était scellé.
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VANYA
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Une huître s’ouvrit et Vanya reçut toute la beauté du monde. Elle avait toujours été sensible aux charmes de la Nature. Tout l’enchantait dans le spectacle de la faune et de la flore : les animaux qui s’ébattent dans l’eau, le bruissement du vent dans les arbres verts, les oiseaux qui pépient au petit matin, les escargots qui se traînent baveusement. Cela avait commencé alors qu’elle était toute petite.
Il faut dire que le milieu dans lequel elle avait été élevée l’y incitait fortement. Elle avait l’immense honneur d’être née dans le clan d’Ashoka, du nom de cet empereur qui avait régné sur toute la partie sud de Plemora il y avait de cela une dizaine de cycles de renaissances.
Ashoka a d’abord été un homme cruel. A la mort de son père, le précédent empereur, il dut affronter son frère cadet, qui tenta de s’emparer du trône sans y avoir le moindre droit, et il n’hésita pas à l’assassiner de sa main, lors d’un banquet sensé marquer la réconciliation des frères ennemis. Ensuite, il mata dans le sang une rébellion des nobles, toujours prompts à profiter d’un changement de règne pour se soustraire à l’autorité impériale. Plusieurs batailles furent nécessaires pour remettre cette noblesse belliqueuse au pas. Ces effroyables carnages faisaient un nombre ahurissant de victimes, malgré (ou à cause) des moyens primitifs de l’époque de se combattre.
Or, il se trouve que tous ces évènements furent concomitants avec la prédication des disciples de Zensou, le prince de la paix et de la lumière. Touché en plein cœur, Ashoka prit la guerre en horreur et sombra dans une profonde dépression dû à la culpabilité d’avoir fait couler tant de sang. Il décréta que chaque vie était sacrée, y compris les vies non-humaines, et fit graver une série de décrets en ce sens sur des piliers en pierre répartis dans l’ensemble de son territoire. Les sacrifices d’animaux furent interdits et le végétarisme fortement encouragé, lui-même en donna l’exemple.
La population, trop heureuse d’échapper aux conflits, se convertit dans sa majorité, même s’il est évident que pour beaucoup, ce ne fut pas par conviction profonde mais par opportunisme. Mais le résultat fut qu’une civilisation beaucoup plus pacifique se mit en place, permettant aux études scientifiques et artistiques de s’épanouir en lieu et place de l’art militaire. Ce nouveau mode de vie se répandrait un jour sur tout le continent.
Vanya et sa famille descendait en droite ligne de l’empereur Ashoka. Sa construction politique avait disparu depuis longtemps, mais son prestige était resté, et il apparaissait lui-même désormais comme un être quasi mythique, à l’image de Zensou qui l’avait si profondément influencé.
Vanya et son clan étaient les dépositaires de l’enseignement de Zensou, malgré les changements de régimes, malgré les persécutions. Car celles-ci furent nombreuses après la mort d’Ashoka. Des souverains ne songeant qu’à leur propre gloire tentèrent d’éradiquer la religion d’amour et de paix, et d’en revenir à l’époque des royaumes combattants.
La dernière attaque en date ne fut pas la moindre. Suite au Grand Renversement, l’Arkhonte avait décidé que tout ce qui ressemblait de près ou de loin à une religion ou un mouvement ésotérique devait être à jamais banni de Pleroma afin d’éviter que les querelles de clocher ne remettent le monde à feu et à sang.
Vanya et sa famille tentaient néanmoins de garder intacte la philosophie de non-violence et de respect de toutes formes de vie léguées par leur illustre ancêtre. Ils avaient en charge la garde d’un véritable sanctuaire où ces principes pouvaient continuer à être promulgués. Des disciples affluaient de partout, tentant de fuir l’incertitude des temps.
Ce matin-là, Vanya se prosterna comme à l’accoutumée devant la statue monumentale d’Ashoka, qui marquait l’entrée du domaine. Puis elle pénétra dans la cour et entra dans le temple, une construction en pierre, circulaire, d’environ 18 mètres de diamètre, ceinturé de murs de cinq mètres de haut, percés d'ouvertures d’accès à intervalles réguliers et surmontés d’un dôme se terminant en pointe à 35 mètres de haut. Ce bâtiment était l’un des rares survivants de l’ère d’avant le Grand Renversement.
Plus aucune cérémonie liturgique ne s’y déroulait, suivant la volonté de l’Arkhonte, et il était désormais devenu un simple lieu de méditation. Vanya aimait particulièrement s’y rendre quand elle n’était pas occupée à ses multiples tâches, comme nourrir les animaux du domaine ou contribuer à entretenir les jardins. Des miroirs avaient été installés dans la salle, car son père professait que la lumière intérieure s’obtenait d’abord par la connaissance de soi, et que celle-ci démarrait par la vision de son corps, qui nous enveloppe et nous conditionne.
Et le moindre que l’on puisse dire est que Vanya n’était pas contente du sien. Petite, boulotte et sans grâce, voici comment elle se voyait. Et pourtant, si elle avait pu voir directement son âme, elle n’aurait pu que constater qu’elle était d’une beauté absolue et stupéfiante. Mais cela, Vanya ne le discernait pas, pour son plus grand malheur.
« Alors, ma grosse, on se regarde encore dans le miroir ? »
La jeune fille ne sursauta pas, tellement elle s’y attendait. Vata, son frère…
Elle avait 17 ans, il en avait deux de plus. Jamais deux êtres élevés ensemble n’avaient été si dissemblables. Grand et fin. Autant elle était portée à la rêverie, autant il était dans l’action. Autant elle aimait profondément la nature pour ce qu’elle était, autant il n’y voyait qu’une source de profit et d’amusement. Combien de fois leur père n’avait-il pas dû le punir pour avoir malmené un chien ou une chèvre ? L’héritage d’Ashoka lui paraissait dépassé et inutile. Seul comptait pour lui l’argent et les plaisirs terrestres. D’ailleurs, il s’était mis à consommer de la viande, comme un défi lancé à son clan si étouffant à ses yeux.
« Qu’est-ce que tu veux ? »
Le ton de sa voix n’était pas exaspéré. Juste blasé.
« Tu prépares encore un mauvais coup, ça se voit. C’est quoi cette fois ? »
« Comme tu m’accuses ! », se défendit-il, mi-piqué mi-amusé. « Je viens juste taquiner ma petite sœur. »
« C’est ça », pensa-t-elle, « prends-moi pour une idiote en plus ».
« A quoi ça sert d’entretenir tout ça ? Bientôt, tout sera brûlé et ce sera peut-être à jamais. Alors à quoi bon ? ». La voix de Vata, en prononçant ces paroles, n’était pas réellement plaintive ou résignée. En fait, il cherchait une excuse pour justifier ce qu’il avait réellement en tête, et cela, Vanya le comprit très bien. Son frère était tellement prévisible. Et ses pensées allaient toujours vers le moins bon.
« On ne sait pas comment les choses vont se passer, Vata. Ce sera peut-être beaucoup moins fort que prévu, peut-être même que ça n’arrivera pas. Et en attendant, nous sommes là, les animaux sont là, et il faut bien s’en occuper. Toutes les dispositions sont prises au cas où ».
« Les abris, ouais, je sais », maugréa Vata. « Mais après, dans quel monde vivrons-nous ? Dans celui du plus fort. Ou du plus riche ! Ceux qui auront le plus de pognon s’en sortiront, comme toujours. C’est ça la seule chose qui devrait compter en ce moment. Amassez le plus possible pour être du côté des gagnants dans le monde d’après ».
« Parce que tu crois que l’argent aura encore cours quand tout sera cramé et qu’il n’y aura presque plus de nourriture ? A quoi te servira ton fric ? Tu boufferas tes billets ? » Là, c’est elle qui se moquait ouvertement de lui, ce qui avait le don d’exaspérer Vata prodigieusement.
« En soignant nos bêtes, en protégeant suffisamment nos ressources végétales, nous nous préparons un avenir bien plus sûr que celui de ceux qui auront accumulé de l’argent qui ne servira plus à grand-chose. La seule manière de s’en sortir sera de travailler la terre et d’entretenir des troupeaux, comme le faisaient nos ancêtres. Et les dômes nous aideront à sauvegarder des parcelles de nature sauvage qui pourra recoloniser le monde quand tout sera de nouveau stable. Tu devrais consacrer tes efforts à les mettre en place au lieu de vouloir dilapider notre héritage. »
Elle détestait se montrer moralisatrice envers ce frère qui était sensé être plus sage qu’elle. D’autant qu’elle savait que ça ne servirait à rien.
« A propos d’ancêtre », finit-il par dire sur un ton détaché, comme si le discours de Vanya n’avait jamais eu lieu… « Les ossements du GRAND empereur » (il avait prononcé le mot « grand » en haussant la voix et en roulant les -r, prenant l’air le plus moqueur qu’il put, « ils sont toujours dans leur boîte ou ils ont déjà été déplacés ? »
Vanya eut instantanément peur, elle savait très bien ce dont son frère était capable.
« Les reliques d’Ashoka ? Pourquoi tu demandes ça ? », parvint-elle à articuler malgré sa gorge qui était de plus en plus serrée. « Il ne pense tout de même pas à… », pensa-t-elle pour elle-même.
Les reliques du fondateur de leur clan étaient objets de vénération, bien que ce simple mot les eût tous envoyé en prison, et leur perte aurait été irréparable.
« Ettt, ne stresse pas, je ne vais pas te les voler tes reliques. J’y tiens aussi, contrairement à ce que tu crois. Moi aussi je suis un descendant d’Ashoka, je te rappelle. », dit Vata en reprenant un air sérieux. « Papa a tellement de choses à faire, j’ai peur qu’il en oublie l’essentiel. Je veux aider, c’est tout. »
Vanya n’en crut pas un mot mais se tut tant elle était abasourdie par tant d’audace et de désinvolture.
Elle cherchait quelque chose à répliquer quand elle fut sortie de sa réflexion par la voix de Durga. Durga était leur mère à tous les deux. C’était une femme fière, droite, au regard décidé, dans un corps que l’on devinait sec et nerveux sous son sari bleu pâle. Ses cheveux relevés en chignon lui donnaient un air encore plus martial. Pourtant, nulle dureté dans le son de sa voix mais une grande détermination à préserver l’harmonie familiale malgré les conditions et les caractères des uns et des autres.
« Qu’est-ce que vous préparez comme mauvais coup tous les deux ? », comme un écho à la façon dont Vanya avait accueilli son frère un instant auparavant. Vanya était furieuse intérieurement que sa mère, pour qui elle avait développé une très grande admiration, put la mettre dans le même panier que ce bon-à-rien de Vata.
« Je rappelais à Mademoiselle, qui passe son temps à se regarder dans le miroir, qu’il y a des choses bien plus urgentes à faire en ce moment », dit Vata en regardant sa sœur droit dans les yeux.
La duplicité de ce garçon était ahurissante ! Vanya n’en crut pas ses oreilles et se fit violence pour ne pas se jeter sur lui et lui crever les yeux.
« Vanya, ton frère a raison. Aide plutôt l’équipe à préparer les repas pour les éléphants. C’est la nuit, en dormant, qu’on peut se permettre de rêver ».
Le ton de Durga était définitif et Vanya n’osa pas répliquer. Elle quitta le temple en traînant des pieds, le cœur lourd de ressentiment. Un jour, elle se vengerait de tous ces affronts et prouverait au monde entier que cet être qui lui sert de frère dans cette vie était d’une bassesse absolue.
Jamais elle ne l’avait aimé, et jamais elle ne l’aimerait. Et elle savait que c’était réciproque.
Vanya vit le soir tomber avec soulagement. La journée avait été chaude, et elle se demanda si ce n’était pas déjà une prémisse de la Grande Illumination. Elle était fourbue et démoralisée.
Avant de se reposer dans sa chambre puis de rejoindre les siens pour le repas du soir, elle trouva la force de se rendre au fond du domaine, où une chapelle, construite au bord de la rivière qui traversait le domaine, abritait le reliquaire où avaient été déposés quelques siècles auparavant les restes du grand empereur pacifiste et amoureux de la Nature.
Un large porche en bois de cèdre donnait accès à une pièce fermée sur trois côtés, de trois mètres de diamètre, aux murs de pierre renforcés de madriers de bois, et soutenant un toit évasé en tuiles. Une odeur d’encens s’en échappait perpétuellement. Au centre, un pilier, de bois également, supportait une mini-chapelle en bronze, réplique exacte du bâtiment. C’était là le reliquaire qui contenait les os de l’empereur pacifiste et protecteur de toutes formes de vie.
Au fur et à mesure qu’elle s’en approchait, Vanya sentit que quelque chose n’allait pas. L’atmosphère devenait lourde et pesante. Un mauvais pressentiment lui serrait le cœur.
Quand le reliquaire fut à portée de vue, elle comprit. Quelqu’un l’avait forcé…
Elle courut comme une forcenée et manqua de trébucher deux fois !!!
Enfin, elle se tenait debout devant la chose la plus précieuse du sanctuaire, hormis les animaux bien sûr. Et elle se sentit pétrifiée jusqu’au fond des os. Sa pire crainte était devenue réalité : le reliquaire était défoncé, sans doute à la masse. Il était impossible en effet de l’ouvrir de quelque manière que ce soit. Il avait été coulé de sorte d’emprisonner à jamais les seuls vestiges matériels rappelant la présence éphémère de cet homme qui avait tout changé, des siècles auparavant. Personne n’avait plus vu ni toucher ses os blanchis depuis lors. Et puis tout le monde se faisait confiance dans le domaine, tout le monde était conscient de la préciosité de la chose et de ce que ça représentait. Personne n’aurait pu imaginer qu’une telle chose puisse se produire.
Personne de l’extérieur non plus n’aurait pu commettre ce forfait car les visiteurs étaient extrêmement rares et n’étaient jamais amené dans cette parcelle du domaine. Aucune publicité n’avait jamais été faite autour de ces reliques. Non, vraiment, seules les personnes y résidant en permanence étaient au courant.
C’était donc quelqu’un de son clan, de sa propre famille, qui avait commis cet acte irréparable. Et ce ne pouvait être que …
Vata courait aussi vite qu’il le pouvait. Le soir était tombé et tout le monde avait regagné ses appartements après le repas du soir pris en commun. La brise était douce, la pénombre s’installait, et seuls les gardes patrouillaient dans le domaine pour leur ronde habituelle.
Connaissant par cœur leur parcours, Vata les évita soigneusement.
Le chemin était long mais il n’était pas pressé. L’air se remplissait de vrombissements, de craquements, de cris plus ou moins aigus au fur et à mesure que l’obscurité recouvrait la terre, dévoilant une vie nocturne loin d’être endormie. Il aimait ce moment où tout semblait s’apaiser pour redémarrer quelques instants plus tard en une autre symphonie que celle jouée en journée.
Ses yeux s’étant habitué à l’obscurité, et doté de toute façon de l’acuité visuelle d’un chat, il distingua enfin la clôture qui délimitait le domaine. Il ne passerait bien sûr pas par la porte principale, mais il escaladerait le grand mur de bambou pour passer de l’autre côté, le monde des humains sans foi ni loi mais toujours prêts à payer.
Soudain, un craquement plus prononcé fit vriller son tympan droit. Il s’arrêta une seconde, les sens totalement aux aguets, puis il reprit sa progression. Il s’arrêta à nouveau quand trois lucioles passèrent devant son visage. Il se retourna alors vivement, sentant une présence juste derrière lui.
Un loup gris le fixait en grognant. Ce n’est qu’après qu’il réalisa que sa sœur Vanya se tenait derrière.
Même si le respect de toute forme de vie était l’épine dorsale de l’existence du clan Ashoka, les animaux restaient sauvages et imprévisibles. Comment ce loup pouvait-il se tenir aux côtés de Vanya comme un toutou ? Il en était sidéré et ne sut quoi dire.
Ce fut elle qui rompit le silence.
« Comment as-tu osé ? »
Il ne dit rien.
« Comment as-tu osé ? », répéta-t-elle plus fort.
Il tenta l’innocence. « De quoi parles-tu ? »
« Ne joue pas à ça, tu le sais très bien ! Tu vas me rendre ce que tu as volé ».
« Vanya… Ce ne sont que quelques os. Nous ne sommes même pas sûrs qu’il s’agisse de ceux d’Ashoka. Ils ne servent à rien ici, juste à être l’objet d’une vénération qui, je te le rappelle, est interdite par l’Arkhonte. Nous nous mettons hors-la-loi et risquons gros pour ces quelques reliques. »
« Vata, tu trahis ton clan, tu nous trahis tous ! ».
Il fit mine de ne pas l’entendre et continua :
« Par contre, à l’extérieur, des gens seraient prêts à débourser de grosses sommes pour acquérir ces ossements. Malgré les décrets voulant instituer un monde sans religion, les gens ont besoin de croire, ont besoin de se raccrocher à une vie spirituelle, à des croyances qui les aident à supporter cette vie injuste et aléatoire. Je suis sûr que les reliques d’Ashoka trouveront preneurs. Les acheteurs en feront ce qu’ils voudront, ce ne sera pas mon problème. Mais nous, nous serons débarrassés de ces choses dangereuses et nous aurons en sus une somme substantielle dont nous avons grand besoin pour faire entretenir ce jardin d’Eden. »
Vanya l’avait laissé parler sans l’interrompre.
Le loup s’était couché aux pieds de Vanya. Tout en parlant, Vata ne pouvait s’empêcher de le regarder.
« Vata, ce que tu viens de dire est non seulement inutile et idiot mais aussi une preuve de plus que tu n’es plus des nôtres. Et en tant que tel, tu n’as plus le droit de vivre parmi nous. Tu vas quitter le sanctuaire mais tu laisseras bien sûr les reliques d’Ashoka ici. Papa et maman seront au désespoir d’apprendre ta trahison mais je les aiderai à se remettre du choc. Peut-être qu’un jour, ils te pardonneront et te permettront de revenir, si tu as fait amende honorable. Mais moi, je ne te pardonnerai jamais. »
Le loup se releva et se remit à grogner.
« Vanya, que fait cet animal avec toi ? On dirait qu’il répond à tes émotions. Tu n’aurais quand même pas… »
Vata ne pouvait y croire : se pourrait-il que sa sœur ait développé l’atma jodana, la connexion des âmes ? Cette capacité que des grands maîtres du passé auraient développée et qui leur auraient permis de parler directement aux âmes animales et de communiquer avec eux comme si on parlait à son voisin ? Mais tout cela n’était que des légendes, des histoires à raconter aux petits enfants avant de s’endormir.
Instinctivement, il recula de trois pas, comme mû par une terreur soudaine.
Le loup avança de trois pas au même rythme et en grognant de plus belle.
« Wolfy, calme-toi », dit Vanya d’une voix douce.
Vata n’en crut pas ses yeux et ses oreilles. Il n’y avait plus de doute, les âmes du loup et de Vanya étaient reliées, elle maîtrisait l’atma jodana.
« Comment…comment y es-tu arrivée ??? »
« Je ne sais pas, c’est venu petit à petit… Je me suis rendu compte que quelque chose se passait, que je comprends les animaux et qu’eux me comprennent aussi ».
Un cri rauque, probablement celui d’un semnopithèque, perça la nuit maintenant bien installée. Vanya, surprise, se retourna. Quand son visage revint vers Vata, elle vit celui-ci s’enfuir à toutes jambes, portant son paquet sous le bras.
« Wolfy !!! », hurla-t-elle.
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Le loup bondit sur Vata.
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L’ARKHONTE
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Le soleil faisait resplendir les murs blancs de ce qui avaient été naguère la résidence des reines et des rois, ces despotes qui avaient fini par mettre le pays à feu et à sang pour des questions de croyances ou de territoire.
Quand le peuple fut épuisé de tant de combats et de malheurs, et que les rancunes se furent apaisées, un nouveau système politique vit le jour. On reprit une titulature des temps anciens, des temps d’avant que tout ne dégénère, et un ou une arkhonte fut chargé de représenter le peuple par tirage au sort, assisté par un corps d’éphores qui, eux, faisaient l’objet d’une élection au suffrage universel. L’Arkhonte à lui ou elle seule ne disposait donc pas des pleins pouvoirs. Mais son prestige était immense, et seules les personnes reconnues par tous comme étant particulièrement vertueuse et noble d’esprit pouvait être choisie par le hasard, le destin diront d’autres.
L’arkhontat était une fonction à vie. Il ou elle pouvait cependant décider d’en démissionner. Ou il était remplacé si sa santé ne lui permettait plus de remplir correctement sa fonction. Ou encore si son intégrité morale était remise en cause, le peuple pouvait alors le destituer par un référendum organisé par les éphores.
Dans ce qui fut donc la résidence des anciens rois se tenait l’arkhonte actuel.
Vu son grand âge, que personne ne connaissait vraiment, l’Arkhonte Anselme était assis dans un large fauteuil de rotin, sur le grand balcon de la façade sud. Il portait la traditionnelle tunique blanche des arkhontes dont les manches étaient ornées de cercles de couleur olo. Sa chevelure grise était relâchée autour de son visage émacié. Son œil droit, de couleur bleu-vert, était rivé à celui d’un télescope. A ses côtés se tenaient, à sa droite une jeune femme aux cheveux mi-longs, portant ample jupe droite et bustier serré qui lui donnait un air un peu revêche, quoique la douceur de son visage, fin, parsemé de taches de rousseur et entouré de boucles rousses, vint adoucir cette première impression ; et à sa gauche un enfant dont on n’aurait pu dire s’il s’agissait d’une fille ou d’un garçon, d’une douzaine d’années environ, mais qui faisait forte impression car un masque de métal dissimulait complètement son visage sous des traits vides et impersonnels.
L’Arkhonte, donc, observait l’astre du jour. Un filtre ultra-puissant empêchait bien sûr ses rayons implacables de lui brûler la rétine !
« J’ai l’impression que tout est normal », dit-il à l’intention de la jeune femme.
Elle s’appelait Belinda et elle était l’astronome rattachée au palais royal – par habitude, on continuait d’appeler ainsi la construction imposante où l’arkhonte avait ses appartements et où s’exerçait les affaires de l’Etat, bien que plusieurs groupements de citoyens souhaitassent que l’on supprime totalement tout ce qui pouvait rappeler l’ancien régime. Certains même souhaitaient la démolition du palais et la construction d’un nouveau centre du pouvoir, beaucoup plus ouvert sur l’extérieur et la participation citoyenne.
Belinda répondit à la remarque de l’Arkhonte : « Pour l’instant, oui ».
« Combien de temps nous reste-t-il ? »
« Difficile à dire. Je dirais deux ou trois mois mais les choses peuvent aller plus vite. C’est un phénomène aléatoire et très imprévisible. »
L’Arkhonte soupira. L’affaire était sérieuse et prenait de plus en plus de place dans les débats publics.
Des anomalies avaient commencé quelques années auparavant. Des tempêtes solaires plus fréquentes et plus importantes qu’auparavant avaient fait suspecter un changement de régime de l’étoile qui éclairait et réchauffait la planète. L’une d’entre elles avaient suffisamment démoli le système électrique mondial pour qu’enfin une commission de scientifiques subsidiés par l’Etat se penche sur le phénomène. Dans le même temps, des historiens et des paléoclimatologues avaient investigués pour savoir si de telles choses s’étaient déjà passées auparavant.
Le résultat de ces études était que périodiquement, sur des cycles de 2680 ans environ, le soleil entrait dans une phase d’expansion, où il pouvait en quelques mois grossir à vue d’œil, et pratiquement irradier le monde de sa chaleur et de sa lumière aveuglante. La dernière fois que cela s’était produit, les conséquences en furent dramatiques mais pas insurmontables. Le continent était alors divisé en plusieurs royaumes et empires combattants, qui se livraient des guerres atroces. La Grande Illumination de cette époque-là avait mis un terme instantané aux hostilités. Le monde fut plongé dans l’affliction et une grande partie de la population disparut du fait de la chaleur extrême, de la mort des récoltes et du bétail, et des maladies de peau et de vue dues à la lumière beaucoup trop intense. Sans parler des cancers qu’avaient dû sûrement provoquer les vagues d’ultraviolets.
Heureusement, les peuples étaient encore assez clairsemés en ce temps-là et la technique sortait à peine de la préhistoire. La reconstruction fut plutôt aisée, d’autant que le phénomène n’avait duré que quelques semaines. L’empire qui avait tiré son épingle du jeu fut celui du grand Ashoka, qui instaura un nouvel ordre mondial basé sur la fraternité entre les peuples et le respect de toute forme de vie.
D’autres études suggéraient que des illuminations beaucoup plus importantes s’étaient produites à des époques beaucoup plus lointaines, lorsque la terre était encore dans un état complètement sauvage, sans humains. Certains scientifiques affirmaient même que les extinctions et mutations ayant accompagné ces cycles particulièrement destructeurs avaient contribué à faire émerger le genre humain. Pour le meilleur et pour le pire.
Et maintenant, le monde allait de nouveau devoir faire face à cette épreuve. Personne ne pouvait prédire quand exactement cela arriverait ni quelle intensité cela aurait. Et c’était à lui, l’Arkhonte, de préparer la population à surmonter ce choc.
« Bon, Belinda, vous et vos collègues, continuez à observer tout ceci de près et prévenez-moi dès que vous aurez de nouvelles informations ».
« Bien entendu Monsieur ».
« Viens mon enfant », s’adresse l’Arkhonte à l’adolescent.e qu’il prit par la main. Ensemble, ils rentrèrent dans la pièce sombre et fraîche.
Là, le vieil homme se mit à tousser, tellement fort qu’il lâchât la main qui le tenait et qu’il se courba en avant.
« Monsieur ! », s’écria une femme vigoureuse en armes, qui se précipita sur lui pour le soutenir.
« Ce n’est rien, Horestia, ce n’est rien », le rassura son souverain.
La dénommée Horestia, cheffe des armées, était une femme entre deux âges au beau visage fin et à la chevelure blonde rassemblée en queue de cheval. Son corps était aussi musclé et noueux que celui d’un pur-sang, et tout en elle respirait l’autorité dans ce qu’elle a de plus brut. Elle n’était cependant pas inébranlable, et l’état de son supérieur la préoccupait visiblement beaucoup. Elle parut à demi-rassurée par les dernières paroles d’Anselme, mais l’autre moitié d’elle-même savait très bien que son état de santé se dégradait de jour en jour. La situation était déjà assez grave, il ne manquerait plus qu’il y ait une crise politique.
L’Arkhonte s’assit sur le magnifique trône en métal et en ivoire orné de magnifiques et majestueux paons au plumage complètement étendus de part et d’autre. Les plumes étaient serties de pierres précieuses, des saphirs pour la plupart. Cet objet avait miraculeusement échappé à la vague de destruction iconoclaste qui avait suivi la chute du dernier monarque, ou plutôt la dernière, la reine Irène, qui avait pris le pouvoir après la mort de son époux et celui de son fils héritier (la rumeur voulut qu’elle le fasse périr par le poison pour s’adjuger les pleins pouvoirs, non plus en tant que régente mais en tant que souveraine de plein titre). Il avait été conservé pour sa beauté et réaffecté au prestige de l’Arkhonte.
« Alors Horestia, sais-tu où en es la situation ? »
« Elle empire, Monsieur. Paniqué par l’imminence de la Grande Illumination, des groupuscules religieux renaissent çà et là. Des pseudo-gourous, qui profitent de l’état d’anxiété général pour s’enrichir et étendre leur influence, ont encore été arrêtés ces jours-ci. Les magistrats n’ont plus assez de leurs mains et de leurs yeux pour traiter toutes les affaires en cours. Nous avons été obligés d’en relâcher un certain nombre, de ces fauteurs de troubles, à charge d’être plus sévère s’ils récidivent. Mais cela ne dissuade pas de nouveaux candidats ».
« Ni des masses de plus en plus importantes de les suivre », compléta l’Arkhonte.
« Effectivement ».
Le jeune homme ou jeune fille écouta tout cela sans mot dire. A cause de son masque, il était difficile de deviner ses pensées et de ressentir ses expressions.
« D’autres franchissent délibérément le mur, et vont se perdre dans la Réserve », continua Horestia.
Belinda passa avec son télescope qu’elle avait pris soin de démonter et de ranger dans un sac prévu à cet effet.
L’Arkhonte était las de tous ces problèmes. Tout allait à vau-l’eau et son énergie diminuait de jour en jour. Il faudrait bien se résoudre bientôt à passer la main.
Mais le fait était là que la population, terrorisée, cherchait refuge dans les valeurs traditionnelles et tentaient de ressusciter les vieilles croyances qui avaient plongé le monde précédent dans le chaos.
« Je ferai un discours dans les prochains jours, tout est déjà organisé avec les canaux de diffusion. Je me dois de rassurer nos concitoyens et de lutter contre les idées pernicieuses et dangereuses qui se propagent à la faveur des évènements. C’est le moins que je puisse faire. Vous, continuez de diriger les forces de l’ordre de ce pays et de traquer tous ceux qui veulent nous faire revenir en arrière. »
« Oui Monsieur », dit Horestia avec un léger signe de tête.
« Un discours, pensa-t-elle, comme si un discours pouvait tout arranger. C’est de la force dont nous avons besoin. Nous devons être beaucoup plus sévères ».
Certaines brigades avaient fait de l’excès de zèle et en avait été sévèrement punies : rétrogradations voire licenciements. Horestia avait tenté d’atténuer leur sort mais en vain.
Le lendemain, la journée fut encore plus chaude que la veille, bien que les beaux jours étaient censés n’en être qu’à leurs débuts. Les floraisons étaient beaucoup trop avancées pour la saison et l’eau commençait déjà à manquer à certains endroits. Les esprits étaient de plus en plus nerveux.
Le soir, alors que le soleil couchant couvrit la ville de son aura orangée et funeste, la silhouette et le visage de l’Arkhonte apparurent sur le grand balcon de la façade ouest, celle qui donnait sur la grand-place, noire de monde. La Ville, SA Ville, s’étendait devant lui, avec ses immeubles de verre qui brillaient au loin, ses maisons à demi-enterrées pourvues de leur dôme qui se mouvait au rythme du déplacement de l’astre du jour, et de la Citadelle où des laboratoires ultra-modernes avaient remplacés les vestiges des temples des anciens cultes.
En même temps, cette image de l’Arkhonte était retransmise sur les écrans qui avaient été installés aux frais de l’Etat dans chaque foyer. Tout le monde était tenu d’assister au bulletin d’informations et de rester connecté avec l’actualité. Personne ainsi ne pourrait dire « Je ne savais pas… »
« Mes chers concitoyens », commença le vieil homme, qui ne l’était peut-être pas tant que ça mais que les rigueurs de l’arkhontat avaient prématurément vieilli.
Il était assis sur le trône des paons, qui intimait le respect et l’autorité.
Horestia était à sa gauche tandis qu’à la droite du vieil homme se tenait, aussi hiératique qu’une statue antique, Blemnis, le Premier ministre, fraîchement élu et que le peuple n’aimait guère.
« Je sais que nous sommes tous inquiets de l’avenir mais, encore une fois, je tiens à vous rassurer. Tout est sous contrôle et tout sera fait pour sauvegarder dans leur entièreté votre qualité de vie et votre sécurité. Ce qui se passe est un phénomène purement naturel, n’écoutez pas celles et ceux qui veulent y voir une intervention divine ou une sorte de pénitence pour des péchés. Tout cet obscurantisme appartient à un passé qui ne nous a apporté que malheur et désolation. Retenons la leçon de l’Histoire et ne commettons pas les mêmes erreurs, je vous en prie. »
Il toussa puis reprit. Sa voix portait loin, et le micro placé devant lui semblait inutile.
« J’annonce que la répression des mouvements sectaires sera renforcée, et que la Générale Horestia peut, avec ma permission, emprisonner directement toute personne qui se livrerait à une quelconque forme de dirigisme envers certains esprits faibles ou troublés, ainsi qu’à une très forte amende ou, s’il est dans l’incapacité de payer, à la saisie pleine ou partielle de ses biens. Mes concitoyens, restez vigilants, ne vous laissera pas aller à la peur, qui est la pire des conseillères qui soit. La situation est sous contrôle, le système de défense contre la Grande Illumination sera bientôt fin prêt, et nous ne serons en rien affectés par ce phénomène astronomique et tout à fait normal. Toute personne qui vous dira le contraire ne cherche qu’à vous manipuler pour vous soutirer de l’argent ou avoir votre soumission. Ne vous laissez pas berner, et rester serein. »
Des acclamations surgirent de la foule massée aux pieds du palais arkhontal. Ce bref discours de l’Arkhonte fut ensuite multirediffusé et commenté par de nombreux experts, qui voulurent en retirer le sens caché. Cette volonté de calmer les gens n’était-elle pas au contraire la preuve que la situation était grave et peut-être hors de contrôle ? Les gens qui se tournaient vers une consolation spirituelle n’avaient-ils pas raison finalement ? Est-ce parce que la religion avait jadis conduit à des guerres meurtrières qu’il fallait la rejeter en bloc ? Qu’en pense le simple citoyen, Monsieur et Madame Tout-le-Monde ? N’était-il pas temps de remplacer l’Arkhonte actuel ? Sa cote de popularité était en effet en très nette baisse depuis plusieurs mois. Sa politique sociale et économique n’avait guère enchanté les foules, malgré une légère régression du chômage.
Mais ce qui passionnait aussi les gens, c’était l’identité et le visage présumé de Sylgrid, le Masque d’Argent, l’enfant de l’Arkhonte. Non un enfant naturel mais un adopté, un orphelin de guerre défiguré que le nouveau dirigeant avait pris sous sa protection et son affection. On connaissait à peine le son de sa voix. L’Arkhonte le protégeait farouchement et le tenait le plus à l’écart possible des turbulences du monde politique. Matériellement, cet être qui suscitait tant de passions ne manquait de rien. Les meilleurs médecins s’étaient succédé à son chevet pour lui rendre visage humain.
Ainsi allait la vie à Pleroma, la méga-cité qui recouvrait une grande partie du continent, sous les feux d’un soleil devenu implacable.
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LA RAISON PURE NE SUFFIT PLUS
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« La raison pure ne suffit plus. L’intuition a aussi droit de cité dans cette vie. », pensait Tancrède, plongé dans la Reflectia.
Depuis des lustres, on n’enfermait plus les criminels mais on les enveloppait dans une projection de leurs propres pensées. Notre homme s’était vu soumis à une analyse spinocérébrale très précise puis les médecins, qui s’occupaient désormais des condamnés à la place des geôliers, l’avaient fait entrer dans le Laboratoire des Réminiscences, qui remplaçaient les antiques et inhumaines prisons. C’était presque comme un hôtel où tous les besoins des condamnés étaient pourvus, mais il fallait obligatoirement passer plusieurs heures par jour dans la Reflectia, cette salle de projection de ses propres pensées.
La réalité virtuelle avait progressé à pas de géant en quelques décennies, à tel point que les premières esquisses, des images et des vidéos en deux dimensions, paraissaient désormais bien archaïque, presque préhistorique.
L’individu était désormais complètement enveloppé de cette réalité parallèle, et sans qu’il y ait besoin de casque ou de lunettes spéciales. Le réalisme était bluffant, presque hallucinatoire. Il y avait là-dedans quelque chose de dangereux, de presque maléfique. Combien de pauvres âmes avaient déconnecté de la réalité, de la seule et terrible réalité, pour se plonger avec délice dans ce monde idéal…ou cauchemardesque… Car certains ont le goût du cauchemar et du malheur.
Tancrède était époustouflé. Même pendant ses transes les plus intenses, il n’atteignait jamais ce degré de réalisme parfait.
Il avait du mal à croire que ces projections émanaient de sa propre conscience, et pourtant… Tout lui était familier.
« Mon Dieu, je pourrais rester ici pour l’éternité », songea-t-il, et cette simple idée lui paraissait terrifiante. Car ce qu’il visualisait, c’était toutes ces scènes de bataille, de vies gâchées, de morts terrifiantes ou pathétiques, que son « don » lui avait permis d’exhumer des mémoires enfouies de ses patients. Ces images, il les connaissait, mais ici, elles étaient mille fois plus percutantes et enveloppantes. Il était plongé au cœur même de l’action et pouvait ressentir les émotions des protagonistes.
« Assez, c’est trop, mon cœur va exploser », cria-t-il.
Mais non, il lui fallait aller plus loin. Ressentir encore plus profondément le mal qu’il avait déclenché.
Il fut d’abord dans un palais. Non pas une résidence luxueuse et confortable, mais dans un de ces édifices de pierres sèches, aux murs rugueux et froid, puant l’humidité et la peur, comme on en voit encore des vestiges ci-et-là. Il vit un homme dans la quarantaine, l'air cruel et fourbe, corpulent et habillé de riches habits brodés et colorés. Il portait longue chevelure ramenée en tresse à l’arrière et épaisse moustache. Ses vêtements étaient bien lavés mais lui-même paraissait malpropre, se fondant parfaitement dans cet environnement crasseux. Il était assis sur une sorte de trône grossièrement taillé dans un seul bloc de bois brut. A ses côtés se tenait une adolescente, non pas sa fille mais son épouse bien qu’elle parût à peine pubère. La peur et la soumission se lisait sur son visage. Devant eux se tenait une assemblée de guerriers à l’air totalement sauvage, et des serviteurs décharnés, aux vêtements miteux. Au milieu, il y avait une vieille femme enchaînée. Tancrède sut qu’elle s’appelait Tormonde et qu’elle était condamnée pour sorcellerie. Des tourments ignobles l’attendaient si elle ne dénonçait pas ses sœurs. L’effroi le plus total se fit dans le cœur de Tancrède, à un point tel qu’il désirât être mort à l’instant même pour échapper à cette fin affreuse. Il se souvint que cette vie avait été celle d’un jeune homme tourmenté par des rêves horribles où des gens mouraient par le feu sur des bûchers improvisés. Lui-même y avait-il échappé dans cette vie ? Tancrède ne s’en rappelait plus.
Il n’eut pas le loisir de s’appesantir, car une autre séquence commençait. Le décor était complètement différent. Le soleil resplendissait dans des salles aérées et ornées de graciles colonnes. Des draps aux couleurs pastel étaient étendus d’un coin à l’autre de la pièce, où des convives étaient alités sur des sortes de couchettes. Chacun riait de bon cœur et s’emparait goulûment des mets et des boissons que des esclaves zélés apportaient à intervalles réguliers. Les plats servis feraient horreur à un chef cuisinier contemporain mais à l’époque, cela paraissait le comble du raffinement : du poisson fermenté cuit au four et enrobé d’une croûte épicée, du pâté de foie de volaille, des œufs dans une sauce de miel et de vinaigre, des galettes de fromage et de farine.
Mais ce que Tancrède repéra surtout, c’est le jeune homme assis à côté de celui qui paraissait être l’hôte du jour, dans le coin droit de la pièce. Il entendit distinctement les mouettes, les reflux de la marée, il sentit la chaleur du soleil, il respira les effluves de transpiration de tous ces hommes qui suintaient de chaleur et d’un trop plein de nourriture. Curieusement, il ne se rendit pas compte de suite qu’il n’y avait nulle femme.
Le jeune homme devait avoir treize ou quatorze ans. Il paraissait maussade et résigné. L’homme à côté de lui, corpulent et sentant le graillon, le regardait avec un air vicieux. Il lui ordonna bientôt de glisser sa main sous sa tunique tachée de graisse pour lui masser l’entrejambes. Ce que le jeune homme fit aussitôt. Tancrède ressentit au plu profond de lui son dégoût et sa tristesse immense. Le gros homme poussa bien vite des grognements qui devait être de plaisir. L’affaire dût être vite conclue car la main du jeune homme se retira et il la ressuya à l’aide d’une serviette. Mais ce ne fut que le début. La satisfaction du maître des lieux fut le signal que le garçon était désormais à la disposition des invités. Tancrède ferma les yeux mais rien ne put l’empêcher de ressentir la peur, la honte, l’humiliation, la douleur physique même, alors que tous ces pourceaux ivres se servirent du corps de l’éphèbe comme bon leur semblait. Il fut déshabillé, palpé par des mains calleuses et sales, léché par des bouches qui puaient à vomir, il dut se mettre à quatre pattes, en prendre certains en bouche et se laisser pénétrer par d’autres, à de multiples reprises. Il fut fouetté, il fut obligé de boire jusqu’à recracher, il dut abandonner son humanité pour être la poupée sexuelle de tous pendant de longues heures. Quand tous ces hommes, ou qui se prétendaient tel, furent repus de plaisir et s’endormirent, le jeune garçon, qui ne semblait même pas avoir de nom, se releva. Il s’était juré que ce serait la dernière fois. Il s’empara d’un couteau, s’approcha de celui qui devait être son maître, qui ronflait sur la couchette où tout avait commencé, et il le poignarda, encore et encore. Le malheureux hurlait comme une truie qu’on égorge, le sang gicla de partout, et c’est recouvert de rouge et dégoulinant, parmi des invités nauséeux et hirsutes, se rendant à peine compte de ce qu’il se passait, que le garçon s’enfuit, quitta la pièce et se dirigea vers la falaise. Il était jeune et gracile, il courait vite. Se retournant, il aperçut les gardes qui s’étaient déjà mis à sa poursuite. Il sourit et, sans hésiter, se jeta dans la mer en furie, où il fut immédiatement projeté contre d’énormes rochers.
Tancrède crut être arrivé lui aussi à la fin de sa vie. Trop d’émotions, trop de convulsions dans son corps, qui ressentait tout ce que les personnages des visions ressentaient.
« Alors, continuons-nous ou nous arrêtons-nous là ? », dit une voix venue de nulle part.
« Stop ! Arrêtez, s’il-vous-plaît », supplia Tancrède, d’une voix de plus en plus faible. Il était en sueur, il avait froid, il avait chaud.
« Non, ce serait trop facile. Vous devez faire face à ce que vous avez réveillé et prendre conscience de vos actes », tonna la voix.
Une autre tranche de vie commença.
Une ville. Des bâtiments en bois munis de fenêtres à vitre. Un environnement chaud et poussiéreux. Une route de terre parcourue par des hommes à cheval. Des femmes aux amples robes colorées, un chapeau sur la tête. Des enfants jouant au cerceau. Des hommes armés et vêtus de pantalon de cuir. Une taverne où certains d’entre eux boivent, jouent aux cartes et se hurlent dessus, tandis que des ribaudes tentent de les entraîner dans les chambres à l’étage contre monnaie sonnante et trébuchante.
Curieusement, le personnage principal était à nouveau une femme, mais une femme manifestement de tête, qui avait pris habits d’homme et qui avait l’habitude de diriger son monde. Elle venait d’entrer dans la taverne et elle se dirigeât immédiatement à une table où trois individus patauds et imbibés fricotaient avec une fille potelée, au rire gras, vêtue d’une robe rose en mousseline qui avait l’air de s’être transmise depuis trois générations au moins. D’un seul regard assassin, la nouvelle venue chassa la pauvrette puis elle se mit à houspiller le trio, qui travaillait sans doute sous ses ordres. Tancrède pouvait sentir toute la colère que contenait le cœur de cette femme. Cette scène aussi, il s’en souvenait très bien. Elle l’avait marqué. Elle avait surgi de son contact avec une jeune fille craintive et timide, que sa famille lui avait envoyé pour connaître l’origine de son mal-être. Maintenant, Tancrède sentait toute la détermination de cette femme tandis qu’elle dirigeait un troupeau de bovins dans la prairie en aboyant ses ordres à sa troupe de gardiens. Un jour, l’un d’eux en eut assez de cette tyrannie, s’approcha de sa patronne endormie sur un lit de camp et entreprit de s’en débarrasser en l’étranglant. Tancrède ressentit l’étau se resserrer autour de sa gorge et cria à l’aide.
Alors tout s’éteignit, ou plutôt tout se ralluma, et notre ami se retrouva au milieu d’une pièce blanche, vide, sans fenêtre, juste éclairé par un de ces néons nouvelle génération, à la lumière imitant parfaitement la lumière naturelle. Durée de vie de mille ans assurait-on…
Tandis que le Résurrecteur de vies, comme on le surnommait parfois, reprenait son souffle, la porte de la pièce s’ouvrit sur un homme à l’apparence fort juvénile, vêtu d’une blouse blanche et munis d’oreillettes. Il s’agissait du médecin qui avait pris Tancrède en charge.
« Alors Monsieur Lysandre, comment vous sentez-vous ? »
Tancrède ne répondit pas.
« Je vois que ça ne va pas fort », continua le jeune praticien, qui actionna une machine et colla une ventouse sur la poitrine de son patient.
« Rythme cardiaque trop rapide mais c’est normal après ce que vous venez de vivre. Ça va diminuer. Par contre, votre taux de globules blancs est descendu beaucoup trop bas, et le niveau de cortisol est trop élevé. Je vais vous conduire dans la salle de repos. »
« Non, ça ira », parvint à articuler Tancrède.
« Vous réalisez au moins tout le tort que vous avez commis ? », dit sans transition le médecin.
« Toutes ces personnes à qui vous avez fait croire qu’elles avaient déjà vécu, ailleurs, en d’autres temps, et qui se sont raccrochés à cela pour expliquer les défaillances de leur vie présente, ou plutôt devrais-je dire de leur seule et unique vie, car nous sommes bien d’accord que tout ce que vous leur racontez n’est que balivernes, n’est-ce pas ? », continua le jeune homme, sur un ton plus autoritaire.
Tancrède le défia du regard.
« Non, je vois que vous n’avez toujours pas compris la leçon. Le but, en vous faisant ressentir au plus fort les émotions de vos victimes, était de vous pousser à la repentance, mais je constate que ce n’est pas le cas. Vous n’allez donc pas vous reposez tout de suite. L’exploration continue. »
Il avait dit cela avec un air presque sadique sur le visage.
Il quitta la pièce, laissant Tancrède seul et bientôt à nouveau plongé dans le noir.
Pas pour longtemps. De nouvelles scènes en 3D se formèrent très vite autour de lui.
Mais cette fois, Tancrède n’y était pas préparé. Car ce furent des images de sa propre vie qu’il visualisât.
« Pas possible, ils vont jusque-là », pensa-t-il.
Il revit ses derniers instants de liberté, dans son appartement, avec Madame B, pendant que son père dormait dans la chambre d’à côté. Son père… Pourvu qu’il ait réellement été pris en charge comme me l’ont affirmé les médecins.
Puis les souvenirs s’enchaînèrent à toute vitesse, du plus récent au plus ancien. Il revécut en mode ultra-rapide les premiers symptômes de la maladie de son paternel, le décès de sa chère mère, l’un des piliers de sa vie, son divorce, son mariage, ses conflits intérieurs durant l’adolescence.
Tancrède savait qu’il pouvait ralentir la projection s’il le souhaitait, mais il ne le voulut pas.
Il était enveloppé en images HD et en relief de tout ce qui avait constitué sa vie. Il avait l’impression d’être mort, d’être au moment où toute son existence défilait devant lui.
Même si les images passaient très rapidement, il eut le temps de ressentir les émotions qui y étaient liées. Et il réalisa que dans les dernières années, ce furent des sensations de mal-être le plus souvent. Qu’avait-il fait de sa vie ?
Au fur et à mesure qu’il se rapprochait de sa naissance, le film ralentit. Il se revit gamin, avec ses parents, ses frères et sœurs, et il extirpa de sa mémoire des souvenirs oubliés depuis longtemps : une excursion scolaire, la visite du palais de l’Arkhonte durant les vacances, les baignades sur les plages de la côté Ouest, un jouet cassé et réparé par son père… Il se revit bébé dans son berceau, dans la chambre de la demeure familiale qui lui avait été affecté, et il se rappela que sa famille était puissante jadis. Puis la lumière qui se concentra en un point, comme au bout d’un tunnel. Il revivait sans doute le moment de sa naissance. Ou était-ce une préfiguration de celui de sa mort, le fameux tunnel avec la lumière au bout ?
A nouveau, le dispositif du Reflectia stoppa et Tancrède fut à nouveau dans cette pièce vide et baignant dans une clarté blanche et chaude.
Il était à genoux, complètement vidé de ses forces. Dormir, il fallait qu’il dorme…
« Alors Monsieur Tancrède Lysandre ? », reprit la voix du médecin, sonore et surgie de nulle part et partout à la fois.
« Vous comprenez maintenant votre erreur ? Votre impudence à vouloir contrôler les gens en manipulant leurs émotions et leurs failles les plus profondes ? Vous repentez-vous de leur avoir donné de faux espoirs ? D’avoir cultivé la nostalgie pour les antiques croyances et essayer, ce faisant, de faire ressurgie les vieux démons pour rebasculer notre société dans le chaos ? »
« C’est drôle que vous parliez de démons, c’est une terminologie religieuse que vous utilisez là », ironisa Tancrède.
« Ne riez pas, Monsieur Lysandre. Vous ne faites qu’empirer votre situation. En refusant de reconnaître vos erreurs, en refusant d’admettre que vous avez joué au gourou avec toutes ces pauvres gens, vous vous êtes mis dans de sales draps. Nous allons devoir en référer aux services de l’Arkhonte en personne. »
« Faites ce que vous voulez, je m’en fiche »
« Vous vous fichez peut-être de votre propre sort, mais vous vous soucierez peut-être de celui des autres ? Ceux que vous avez entraîné dans votre expérience stupide, ces gens qui vous ont vu comme un guide spirituel, un médium ou un guérisseur, que sais-je ? Et vous souciez-vous de votre père ? »
Le cœur de Tancrède ralentit et il devint livide.
« Que voulez-vous dire ? », prononça-t-il d’une voix basse et rauque.
« Vos…clients ont presque tous été identifiés et subissent en ce moment même la même procédure désagréable que vous. Tout ceci par votre faute. Quant à votre géniteur, il est actuellement sous la protection de l’Etat, et confortablement installé au Centre de confinement de votre quartier »
Le Centre de Confinement, autant dire un mouroir, où seuls les soins de base sont apportés. Il est vrai que l’explosion des cas de dégénérescence mentale rend la prise en charge de plus en plus lourde et coûteuse.
Tancrède fut ramené dans une chambre pourvue d’un lit confortable et de fenêtres, ainsi que d’une petite bibliothèque contenant des ouvrages sensés le remettre dans le droit chemin : récits des horreurs de la guerre ayant conduit l’ancien monde sur le chemin de la destruction, récits de vie de personnes ayant fait le mal et s’étant repenties, guides de bonne conduite pour une société harmonieuse…
« S’ils veulent détourner le bon peuple de la religion, c’est raté. On dirait la bibliothèque d’un centre de catéchisme… »
L’ironie lui plut et, après avoir feuilleté quelques livres, dont certains très vieux, il préféra se replonger dans sa bulle sonore. Il avait eu le droit en effet d’emporter quelques effets personnels dont son Organum contenant ses meilleurs morceaux de musique.
Réveille-toi
Repousse la croix,
Retrouve la foi
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La voix de sa chanteuse fétiche égrenait les paroles de la chanson pop…
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Tancrède se reprit à sourire. Car la séance de Reflectia, qui avait fini par ressembler à une séance de torture, lui avait au moins appris une chose. C’est que son esprit, à lui, Tancrède, était plus fort que tout. Suffisamment en tous les cas pour ne pas tout révéler. Il avait su garder la maîtrise de ses pensées.
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S’il se souvenait bien de ces vies entraperçues grâce à son don, la vieille femme accusée de sorcellerie a été sauvée par une révolte paysanne qui a renversé le seigneur, le garçon abusé est parvenu à s’extirper des remous marins et à s’enfuir pour recommencer une nouvelle vie, et la femme maîtresse n’est pas morte étranglée, elle a eu la vie sauve par l’intervention de deux autres de ses hommes, qui ont fracassé une bouteille sur le crâne de son agresseur.
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Tancrède restait persuadé que son action était bénéfique.
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Non, décidément, la raison pure ne suffit plus.
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L’ASTRONOME
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Le ciel était craquelé comme une pelure d’œuf. De lourds nuages empêchaient les rayons du soleil d’atteindre et de réchauffer les corps. De temps à autre, son disque apparaissait, blafard, comme annonciateur de la fin du monde.
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Cela ne décourageait pas Belinda et les membres de son équipe, qui s’étaient repliés dans le confort douillet de leur laboratoire. Celui-ci leur avait été mis à disposition par l’Arkhonte, au sein même du palais, afin qu’il puisse être tenu au courant en direct des avancées des recherches pour comprendre le mécanisme de la Grande Illumination, et en établir la date fatidique la plus précise possible. La pièce était vaste et bien éclairée par de larges baies. Elle était orientée au sud afin d’obtenir les meilleures conditions possibles pour l’observation des astres et objets célestes. Une certaine obscurité pouvait en outre être obtenue en journée par des stores. Des ordinateurs équipés de logiciels spécifiques occupaient les six postes de travail du labo. Une salle de réunion jouxtait la première salle, ainsi qu’une salle de détente avec petite cuisine, petit salon et table de ping-pong. Un laboratoire d’analyse et un espace de stockage complétaient le dispositif.
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Hijra était le plus proche assistant de Belinda. Longiligne et gracieux, ce jeune homme de 26 ans à la peau mate, aux yeux en amande cernés de khôl, aux longs cheveux reliés en catogan, portant une sublime robe serrée blanche aux rayures bleues, était une vraie beauté qui faisait se pâmer bien des gens. Il paraissait futile avec ses gestes maniérés et son langage enfantin, mais il était le membre le plus doué de l’équipe de Belinda, un astronome hors pair qui avait fait des étoiles pulsantes type Céphéide classique sa spécialité. On le surnommait « La mouette » à cause de son rire, qu’il déclenchait à la moindre occasion.
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« Je ne comprends pas…Je ne comprends pas… », ne cessait-il de marteler.
« Le soleil est de type spectral G, il ne devrait pas connaître de telles variations sur d’aussi courtes périodes. »
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Les premiers signes d’une instabilité de l’astre avaient été observés quelques deux ans auparavant.
Du 13 mars au 25 avril, la luminosité avait cru, d’abord de façon imperceptible, puis de plus en plus nettement jusqu’à un apogée autour du 2 avril. Le ciel n’était alors plus bleu mais blanc laiteux, et il était difficile de garder les yeux grands ouverts, même sous une épaisse couche nuageuse. Par réverbération, la brume rendait la situation encore plus difficile, et nombreux furent les citoyens à s’enfermer chez eux, tout volets clos. La nuit offrait un peu de répit, mais la lumière revenait encore plus drue le lendemain.
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Le phénomène décrut par la suite jusqu’à disparaître complètement à la fin mai. Mais les complications ne s’arrêtèrent pas là. Une épidémie de problèmes cutanés et oculaires occupa les médecins durant des mois : sécheresse de la peau, dermatites voire cancers, troubles de la vue, surtout chez les enfants et les personnes âgées.
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Les récoltes ne furent brillantes et une flambée des prix des aliments s’ensuivit.
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Tout était rentré plus ou moins dans l’ordre à la fin de l’année.
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Mais le phénomène recommença au début de la suivante. La crise fut beaucoup plus courte, à peine deux semaines et demie, mais aussi plus virulente.
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La population commença à paniquer et les autorités à se rendre compte de la gravité de la situation.
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Une équipe d’astronomes fut mise sur pied au palais de l’Arkhonte, en prenant soin de sélectionner les meilleurs chercheurs de l’Université d’Etat. Belinda en fut nommée responsable, étant de loin la meilleure astrophysicienne de sa génération, autrice d’une multitude d’articles ayant impacté durablement la vision des spécialistes des étoiles multiples, et ayant aussi contribué grandement à la vulgarisation de son champ d’études via des livres, notamment à destination des enfants. A son tour, elle put recruter elle-même les personnes qui seraient ses collaborateurs sur ce projet de la Grande Illumination. Ce programme chargé d’enquêter sur la soudaine variabilité du soleil finit dans l’opinion publique à désigner le phénomène lui-même.
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Une troisième crise s’était amorcée six mois plus tôt. A nouveau, la lumière aveugla le monde, et des coupures de courant géantes plongèrent les habitants de Pleroma dans l’anxiété et la confusion.
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La Grande Illumination devint la principale préoccupation, et les astrophysiciens du Palais devenaient les interlocuteurs privilégiés des médias pour apaiser les angoisses collectives et tenter d’expliquer de façon rationnelle les choses. En même temps, l’incapacité de l’Arkhonte à prémunir son bon peuple face à cette catastrophe excita le contre-pouvoir. La Grande Illumination devint aussi un enjeu politique.
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Erkar était une armoire à glace toujours engoncé dans des chemises trop serrées. Il avait la quarantaine mais son teint hâlé et ses cheveux coupés très courts lui donnait l’air plus jeune. Il était chargé d’étudier les pulsations dans les couches externes du soleil.
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« Il s’est encore dilaté », dit-il après analyse des derniers clichés en ultraviolet et en infrarouge. « 2 magnitudes », compléta-t-il.
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Pour appuyer son propos, il projeta l’hologramme en trois dimensions de la boule de feu, telle qu’elle était la veille et le jour-même. La différence était perceptible.
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« Le phénomène n’en est qu’à sa première phase. Le pire est à venir, ce n’est pas près de s’arrêter »
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Belinda fit la lumière et remit ses beaux cheveux roux en place en un geste gracieux. Elle était déprimée. Elle avait tenté de se persuader que les choses allaient s’apaiser d’elles-mêmes, mais force lui était de constater qu’ils allaient devoir toutes et tous faire face à une catastrophe sans précédent. Comment l’annoncer à l’Arkhonte et à la population de Pleroma ?
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L’après-midi touchait déjà à sa fin, et elle décida que la journée de travail était terminée. Il était inutile de continuer des observations qui ne faisaient que confirmer jour après jour qu’ils étaient au bord du gouffre.
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« Pourvu que le bouclier fonctionne… », tenta-t-elle de se rassurer.
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C’est alors qu’une clameur les fit tous se retourner vers les baies vitrées. Un brouhaha de foule en marche, des cris, des chants psalmodiés leur firent comprendre ce qu’il se passait.
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« Les Fils du Soleil », murmura Erkar.
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Epouvantés par la perspective de la Grande Illumination, de plus en plus de citoyens de Pleroma étaient tentés de suivre l’un des groupes sectaires qui s’étaient mis à pulluler. Le plus virulent était celui des Fils du Soleil. Les cultes les plus anciens et primitifs semblaient renaître, comme si le vernis de la civilisation, déposé au long des millénaires, n’avaient fait que recouvrir superficiellement des instincts et des peurs très profondément ancrés au plus profond de l’âme de chacun. Et quoi de plus naturel que d’adorer le Soleil, l’astre le plus visible, dispensateur de vie et de lumière, comme les plus anciens l’avaient fait pendant des siècles ?
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Bien sûr, ces mouvements étaient très mal vus par les autorités, d’autant qu’ils s’accompagnaient de débordements difficilement contrôlables. Ainsi les Fils du Soleil avaient-ils renoué avec les sacrifices d’animaux pour se concilier les bonnes grâces du dieu soleil. Des animaux domestiques étaient de plus en plus souvent enlevés dans ce but, et des rixes sanglantes avaient déjà éclatés à plusieurs reprises. Certains parlaient même de remettre en honneur les sacrifices humains !
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C’était bien sûr aller beaucoup trop loin pour l’Arkhonte, qui avaient envoyé ses miliciens « chasseurs de dieu », spécialement créés dans ce but, pour anéantir ces résurgences d’obscurantisme, par la force si nécessaire.
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Mais les Fils du Soleil s’étaient entretemps organisés sous la férule du Révérend, un meneur de foule mystérieux, toujours évoqué, jamais aperçu. Certains doutaient même de son existence. Cette foi en ce personnage qui cristallisait toutes leurs espérances rendaient les Fils du Soleil d’autant plus dangereux.
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« Encore eux », dit la Mouette sur un ton lugubre.
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Les chants, entonnés dans une langue rugueuse et incompréhensible, ne faisaient qu’augmenter le côté terrible de ce défilé d’hommes et de femmes qui se fouettaient jusqu’au sang en regardant le soleil en face, sans protection, jusqu’à l’aveuglement. Heureusement, le voile nuageux rendait aujourd’hui la chose beaucoup plus facile.
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« Mais combien sont-ils cette fois », demanda Batoris, une autre assistante de Belinda. « La dernière fois, ils étaient peut-être une centaine tout au plus. Aujourd’hui, on dirait qu’ils sont des milliers ».
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Belinda et les autres astrophysiciens restèrent silencieux face à cette marée d’adorants qui s’autopunissaient pour leurs péchés, réels ou imaginaires, à la source selon eux de la Grande Illumination.
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Soudain des cris, soudain, des fulgurances rouge flamme.
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« Les chasseurs de dieu », cria Erkar. « Regardez, ils sont venus en nombre ».
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Des soldats portant la tenue et les armes de la milice de l’Arkhonte arrivèrent par les airs, fondant sur leurs proies grâce à leurs ailes invisibles, un dispositif en matériau carboné quasi transparent imité des ailes de chauve-souris. Des filins s’abattirent sur les adorants, en capturant un grand nombre et les emmenant dans les airs pour les présenter à la justice de l’Arkhonte. Des cris stridents succédèrent aux chants, des rayons fusèrent vers les soldats à partir des micro-canons cachés sous les vêtements des manifestants. Des miliciens prirent feu et tombèrent dans la foule où ils furent massacrés par des gens fanatisés et pris d’une furie aveugle et sacrée. Des explosions retentirent et les vitres du laboratoire tremblèrent. Tout ne fut plus que bruit et fureur.
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« Mais ils sont fous », s’écria Belinda, « ils vont tout saccager ! »
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« Bientôt, ce ne sera pas le soleil qui nous tuera mais la stupidité humaine », compléta Erkar de sa voix grave.
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L’obscurité se fit soudain.
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Un grondement sourd et puissant se fit entendre, et le sol vibra légèrement.
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Le ciel, en une fraction de seconde, vira à l’orangé.
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Mue par une intuition, Belinda se précipita vers son écran, resté allumé sur les images transmises en direct par les satellites spatiaux braqués désormais en permanence vers l’astre. Et ce qu’elle vit la plongea dans la terreur…
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« Le soleil… Non, ce n’est pas possible… »
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Erkar vint voir à son tour.
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« Oh non, pas déjà, pas maintenant !!! »
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Une lumière aveuglante recouvrit toutes choses et mit un terme brutal aux affrontements. Dans tout Pleroma, chacun cessa immédiatement son activité et scruta le ciel en clignant des yeux.
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La température ambiante augmenta d’un coup, et les foules se mirent à hurler et à courir dans tous les sens. Le grand moment était arrivé, celui de la Grande Illumination qui allaient tout détruire…
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Dans le sud du continent, la grande statue d’Ashoka fut tellement illuminée qu’elle parut en or. Les animaux du domaine fuirent partout où c’était possible, échappant à leurs gardiens, qui pour certains d’entre eux furent piétinés ou entraînés dans leur course folle.
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A Pleroma, les Fils du Soleil se prosternèrent et reprirent leurs prières. Les oiseaux tombèrent comme des mouches, ajoutant au chaos général. Des bulles chargées de visiteurs, ne sachant plus se diriger et voyant vraisemblablement leurs mécaniques perturbées par le phénomène, s’écrasèrent sur les bâtiments de Pleroma, faisant de nombreuses victimes.
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Le monde semblait toucher à sa fin.
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Et soudain, tout s’arrêta.
Le ciel retrouva sa couleur grise et sombre, la lumière diminua et les températures chutèrent d’une quinzaine degrés en quelques secondes.
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« Dieu tout puissant, merci ! », s’écria Erkar, malgré le caractère interdit et blasphématoire de ces paroles.
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« Ce n’était pas encore la Grande Illumination », dit d’une vois surexcitée Belinda, ce n’était qu’un prélude, un avertissement ».
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« Un avertissement ? », ricana Hijra, qui sortit de dessous la table où il s’était réfugié et qui réajustait sa robe. « Tu penses que le soleil a voulu nous avertir ? Attention Belinda, tu commences à parler comme tous ces zozos cinglés qui pensent que le Soleil est un dieu. Je pourrais te dénoncer pour ça », finit-il en lui faisant un clin d’œil. Elle lui répondit par un coup de coude dans le ventre. « AÎHEU »
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« Bon, tout le monde va bien ? », s’enquit-elle.
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Oui fut la réponse unanime. Ils regardèrent tous par les fenêtres et ce qu’ils virent les désola au plus haut point. Des corps gisaient sur le sol, des gens pleuraient et tentaient de se relever ou d’en relever d’autres, des colonnes de fumée s’élevaient de l’horizon, où des incendies avaient dû éclater, des sirènes retentissaient partout.
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Ils durent pourtant se détacher de ce spectacle lorsqu’un garde du Palais vint les avertir : « L’Arkhonte est mort ».
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GLYDIS
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Tandis que le ciel tournoyait, Glydis s’étendait immobile. Elle fixait l’horizon de ses grands yeux noirs de jais. L’ivresse avait à nouveau submergé son âme. Une soif de vivre inextinguible. Un appel du corps que seule la caresse d’un autre corps pouvait apaiser. Ou était-ce son cœur qui réclamait amour et tendresse ?
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Toujours est-il que Glydis était ce qu’on appelle un peu familièrement une traînée, une femme de petite vie, une sans-vertu qui semblait destinée à la déchéance morale et à l’opprobre publique.
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Ce n’est pas qu’elle aimait particulièrement ça, mais une sourde injonction de son âme l’y poussait irrésistiblement. Oh, elle avait bien essayé de s’en dépêtrer, mais rien n’y fit. Elle avait même tenté le mariage, et elle fut sincère lorsqu’elle prononça le « oui » de circonstance. Mais ses démons la reprirent et les aventures succédèrent à plusieurs années de fidélité forcée.
Son mari la jeta dehors et elle fut contrainte de se prostituer pour subvenir à ses besoins.
Elle enfila donc la robe jaune de celles qui n’ont plus aucune pudeur et se jeta dans l’arène. Les lions qu’elle dompta lui témoignèrent reconnaissance et gratitude. Mais Glydis n’en fut pas satisfaite.
Alors elle reprit sa liberté. Mais qu’allait-elle en faire ?
Elle en était là de ses réflexions lorsque le Prémisse de l’Illumination se produisit.
Elle vit le ciel s’obscurcir puis s’illuminer, elle ressentit les ondes de chaleur, elle comprit que la fin était proche et qu’elle allait mourir.
Il n’en fut heureusement rien, mais la terreur ressentie fut telle qu’elle la sublima en quelque chose de plus mystérieux et puissant.
Un sentiment mystique, quasi religieux. Un besoin de reconnaissance par une puissance supérieure qui lui aurait sauvé la vie et vers qui elle pourrait se tourner pour apaiser ses angoisses.
Bien sûr, les temps n’étaient pas propices à de telles extases, autrement plus profondes que celles qu'elle vivait à travers son corps, car cette fois c'était son âme tout entière qui devenait le centre et le point d'aboutissement de cette déferlante d'énergie positive qui transformait son monde de façon hallucinée et magique. Bien sûr, la répression déclenchée par l’Arkhonte contre tout ce qui rappelait de près ou de loin un vague enseignement de type spirituel, ne contribuait pas à des démonstrations publiques à cette adhérence.
Puis elle apprit comme tout le monde la mort de l’Arkhonte, et elle se surprit à espérer que son successeur serait moins rigoureux. Si elle avait su ce qu’il allait advenir…
Mais n’anticipons pas.
Alors, comme tout le monde, elle vit sur son écran le premier ministre Blemnis apparaître au balcon du Palais et s’emparer de la régence en attendant de nouvelles élections, elle vit à ses côtés la Générale Horestia, l’air farouche, et cela l’émoustilla plus que ce qu’elle voulut bien l’admettre.
Comme tout le monde, elle eut peur du changement, de l’incertitude de l’avenir, puis, voyant que rien ne changeait, elle se rassura, se calma, et reprit sa vie d’avant.
Elle avait rejoint un groupe de dissidents, et s’y faisait appeler Colombe.
Ils se réunissaient une fois par mois dans un vieux cimetière pour communier ensemble et convoquer les esprits des défunts. Eux adoraient non le Soleil mais la Terre. D’elle surgissaient les énergies vitales des corps placés là parce qu’ils ne fonctionnaient plus. Il suffisait d’une vibration, d’une sensibilité subtile pour entrer en résonance avec ces énergies.
Glydis-Colombe paraissait douée pour cet exercice.
Il faisait nuit. La chaleur de la journée avait laissé la place à la fraîcheur du crépuscule. La vie nocturne commença à crisser de toutes parts. Ce fut comme si tous les morts du cimetière
Elle était debout au milieu du cercle, parmi les caveaux. Ses longs cheveux noirs de jais étaient déliés, et sa peau rendue blanche par de multiples couches de fond de teint (son grain de peau était en fait naturellement bronzé) ainsi que sa maigreur naturelle lui donnaient l’air d’un spectre. Elle s’efforçait de parler d’une voix grave qui renforçait le côté d’outre-tombe.
« Esprits de la terre, réveillez-vous et venez à nous ». Elle s’efforçait de ne pas rire, mais intérieurement elle était secouée de spasmes.
« Energies souterraines, libérez-vous et venez à nous ».
Quelqu’un la fixait. Parmi ses compagnons de démence, il y avait Fredo. Lui était un vrai vampire : teint blafard, yeux sombres et inquiétants, allure de dandy d’une autre époque où tout était beaucoup plus raffiné. Lui l’intéressait beaucoup. A chaque fois qu’elle le croisait, elle voulait s’accrocher à lui, lui mordre la joue et le déshabiller sur le champ. Qu’il détonnait parmi la foule d’abrutis qui adoraient les énergies de la terre dans les cimetières la nuit… Elle ne savait trop pourquoi elle les avait rejoints. Le goût de l’interdit, une monotonie rompue, le sentiment que c’est dans ce genre d’endroit qu’il allait se passer quelque chose d’extraordinaire.
« Souffles telluriques, décidez-vous à nous rejoindre », dit-elle dans un souffle mi-rire étouffé, mi-soupir d’exaspération.
Un craquement, un bruit de pas…
L’assemblée se tourna d’une seule tête vers la gauche.
« Les voilà… », « Encore une fois, elle a réussi », « J’ai peur, mais qu’est-ce que c’est excitant »
Glydis n’en crut à nouveau pas de leur crédulité. Un animal qui passe, une branche qui casse, qu’y avait-il de si extraordinaire ? Mais elle tenait son rôle de prêtresse à la perfection.
« Esprits, dites-nous pourquoi vous êtes-là. Avez-vous un message à nous formuler ? »
Les adorants étaient munis chacun de leur récepteur d’ondes. Celles-ci étaient sensées entrer en résonance avec la machine, choisir des mots parmi une liste préétablie et communiquer ainsi avec les vivants.
FORCE, JE SUIS LA et JE SUIS IMMORTEL furent les premiers messages.
« Encore plus stupides que ce que je croyais… », se dit Glydis. « Il croit vraiment que c’est un esprit qui manipule leur machine »
Tout cela l’amusait follement. Son tempérament de frondeuse s’en donnait à cœur joie.
« Colombe, demande-leur de se manifester de façon bien tangible »
« Esprits, donnez-nous un signe de votre présence, un signe bien visible de tous et ne permettant aucune méprise »
Un craquement plus sourd que les précédents se fit. « Hasard », pensa-t-elle.
Un murmure parvint ensuite aux oreilles de tous, comme un mantra.
Là, elle commença à douter et à avoir peur.
« Hasard », se dit-elle encore.
Les adorants se regardèrent l’un l’autre. Fredo fixait Glydis.
JE SUIS LA, cria soudainement une voix fantomatique et profonde provenant de partout à la fois.
Les adorants crièrent d’une seule voix et s’enfuirent, épouvantés. Glydis fut bousculée et manqua de tomber. Fredo la retint.
Quand ils furent seuls, il lui montra son diffuseur : la voix du spectre en sortait, modulable à merci.
Glydis se mit à rire, imitée bientôt par Fredo. Alors, il se saisit d’elle et l’embrassa fougueusement. Enfin, ce qu’elle attendait était arrivé, il allait être à elle. Pour combien de temps, une heure, une semaine ou une vie, peu lui importait.
Ils se moquèrent des autres, de leurs peurs superstitieuses, des escadrons de l’Arkhonte qui savaient qu’il se passait quelque chose de louche dans ce cimetière mais qui n’avaient jamais réussi à les prendre en flagrant délit. Il faut dire que le cimetière était très isolé et que les soldats avaient déjà beaucoup de choses à régler à Pleroma.
Enfin, ils étaient seuls et elle allait pouvoir assouvir l’un de ses fantasmes, l’amour dans un cimetière. Mais alors qu’ils allaient s’étreindre à nouveau, elle se redressa vivement, l’air affolé.
« Qu’est-ce qu’il y a ? », demanda précipitamment Fredo.
« Là, il y a quelqu’un ! »
Il se retourna, ne vit personne.
Soudain, quelque chose glissa sur son pied gauche. Elle regarda et poussa un cri d’horreur. Un serpent enlaçait sa jambe et entreprit de la remonter. Elle hurla comme une possédée et se tordit dans tous les sens. Fredo se jeta sur elle et lui bloqua la bouche de sa main droite, qu’il avait large et puissante.
« Mais tu es folle de hurler ainsi ! Quelqu’un pourrait nous entendre et nous dénoncer ! », la gronda-t-il.
Elle se calma et regarda à nouveau sa jambe. Le serpent était parti.
« Un serpent… Il y avait un serpent sur ma jambe… »
« Je n’ai rien vu. Et puis, ce ne serait rien d’étonnant. Ce vieux cimetière abandonné en grouille. Comme de bien d’autres animaux d’ailleurs. Tu le sais bien, c’est ce qui te permet d’être crédible auprès de nos « amis » ». Il força son propos par un clin d’œil.
Ils rirent de nouveau de bon cœur. Elle se préparait à le dévorer tout cru, là, ici, dans ce royaume des morts, mais elle se retint à nouveau. Elle sentit un souffle, elle entendit une respiration autre que la sienne et celle de Fredo.
Et puis elle la vit.
Une silhouette. Noire. Menaçante et immobile. Elle se tenait à côté d’un vieil arbre, dans le dos de Fredo. Elle les regardait sans yeux, elle dégageait une présence intense et mystérieuse.
Elle cria à nouveau, sans même s’en rendre compte, et elle prit ses jambes à son cou. Fredo resta seul, interloqué, à la regarder partir. Puis il eut un sourire narquois et se tourna vers l’ombre.
Le lendemain, Glydis se réveilla avec la sensation d’avoir la gueule de bois. Les souvenirs de la veille lui revinrent et elle frémit. Ce devait être un mauvais rêve éveillé, se dit-elle. Une hallucination due au contexte et au fait que j’étais à fond dans mon rôle.
Elle décida de ne plus y penser, ou plutôt de ne retenir que la seule chose intéressante vraiment. Fredo lui avait enfin déclaré sa flamme. Enfin, sa flamme, c’était trop en dire. Son « intérêt » pour tout ce qui faisait son charme, préféra-t-elle corriger.
Elle se sentit étourdie à cette pensée et à celles évoquant tous les plaisirs à venir. Oui, elle était vraiment née pour user de son corps et de celui des autres. Quel mal y avait-il à cela ? Mieux valait faire l’amour que la guerre, non ?
Elle fut tentée d’appeler Fredo mais aucun des Votants de la Terre n’avait les coordonnées des autres. C’était là une des règles fondamentales de leur groupe, comme de tout groupement à caractère religieux pensa-t-elle.
De toute façon, elle avait plus urgent à faire en ce jour. Elle avait rendez-vous avec sa meilleure amie Elowen. Elles iraient manger un bout ensemble à Pleroma, puis se rendraient au Dôme constellé afin d’y voir leur idole. La Chanteuse ultime, l’étoile brillantissime, Aria Lyra. S’il ne fallait en retenir qu’une, ce serait elle. Sa voix douce et mélancolique, ses chansons percutantes et étranges, parvenaient à émouvoir n’importe qui. Aujourd’hui, elle donnait la dernière représentation de sa tournée au Dôme, l’endroit où n’importe quel artiste rêvait de se produire, la consécration suprême, capable de réunir en un même lieu près de cent mille personnes.
Toute la journée, elle écouta en boucle son dernier album, « Rêves inattendus », tout en choisissant sa tenue.
Après deux heures d’essayage, elle se focalisa sur une robe fourreau noire et brillante, qui mettait ses hanches en valeur. Le noir, décidément, lui allait bien. Il se mariait parfaitement avec la peau presque blanche de Fredo.
Après de longues heures d’attente, le moment était enfin là. Elles étaient assises face à la scène.
Elowen : « Tu as rencontré un homme, n’est-ce pas ? »
Glydis fut déconcertée par cette question à brûle-pourpoint puis se ressaisit.
« Ça se voit tant que ça ? »
« Tu sens le désir à plein nez »
Glydis sourit et ne dit rien.
« C’est ton Fredo, c’est ça ? »
« Oui »
« Qu’est-ce que tu lui trouves au juste ? Il est maigre, il est blanc, il respire la mort »
« C’est tout ça qui me plaît en lui. Il est tellement éloigné des hommes sur qui je craque d’habitude. »
« Tu deviens sentimentale, je m’inquiète pour toi »
Elowen avait été d’abord son amie de débauche, son ange noir l’entraînant vers les fonds obscurs des extases interdites.
Les deux amies s’échangèrent un regard provocateur et complice.
Une fragrance de pin et de minéraux se répandit dans le stade tandis que les lumières s’éteignirent. La foule fut directement en délire. Les cris firent trembler les assises de l’édifice. Toutes ces vagues d’énergie se répercutèrent au plus profond de l’âme de Glydis, réveillant ses instincts les plus sauvages. Puis ce fut un parfum de cyprès et de résine. Une nouvelle ovation parcourut le public.
La musique enfin débuta, un air martial et solennel, des chœurs surgis des temps antiques, une mélopée lancinante et percutante.
Et enfin elle fut là. Aria Lyra, la déesse revenue parmi les humains.
Elle était vêtue d’une robe rouge feu qui lui enserrait la taille puis s’élargissait au niveau des mollets. Sa chevelure était rassemblée en un chignon sophistiqué. Sa peau était encore plus brune que d’habitude. Une chouette vint se poser sur son épaule et elle commença à chanter. Ses paroles furent bues et régurgitées par des milliers d’yeux et de cœurs.
L’âme emplie de spleen et de rêves inattendus, Glydis se laissa porter par ce moment suspendu et hors du temps. Elle n’était pas avec Aria Lyra, elle était Aria Lyra. Et tout ce qu’elle devait ressentir, elle le ressentait aussi, au même moment et aussi fortement.
Après deux heures de spectacle, et après que la déesse se fut envolée dans un nuage de fumée et des volutes fruitées, Glydis sortit de sa torpeur. Elowa était dans le même état.
Elles restèrent assises un moment encore, tentant de reprendre leurs esprits. Et quand Glydis voulut se relever, elle eut le malheur de regarder vers le haut des tribunes. Et là, elle vit. La même ombre que dans le cimetière, qui la fixait de son visage sombre et sans yeux.
Elle devint livide et s’évanouit.
Quand elle se réveillât, elle était allongée sur une civière, Elowa à côté d’elle qui lui tapotait la main.
« La princesse se réveille ? »
« Mais… Qu’est-ce qu’il s’est passé ? »
« Tu vieillis ma grande, voilà ce qui se passe. Heureusement, ce charmant jeune homme t’a pris en charge », fit-elle plus bas et dans un clin d’œil.
Et Glydis vit le jeune homme en question, et elle se dit qu’elle aurait aimé qu’il la prenne tout court.
Le surlendemain, elle fut à nouveau au vieux cimetière. Fredo et elle ne s’était plus croisé depuis l’avant-veille. Elle craignait sa réaction après sa fuite précipitée et un peu ridicule, il faut bien le dire. Mais il paraissait tout à fait normal. Il la fixait, comme d’habitude, de son regard magnétique.
Remise en confiance, elle commença le rituel.
Et là, elle perdit le contrôle. Elle entra dans une sorte de transe et vit des serpents qui se dirigeaient en nombre vers elle.
Elle n’eut pas peur, bien au contraire. Elle les appelât intérieurement de toute ses forces. Fredo la fixait toujours du regard. Les adorants se balançaient de gauche à droite, en proie visiblement à la même expérience mystique.
Les serpents s’élevèrent le long de ses jambes, gravirent la taille, s’enroulèrent autour de ses bras. Elle n’avait pas peur, bien au contraire. Sa vie était concentrée en ce point précis de son existence, comme si elle n’avait vécu que pour ça depuis le début.
Une ombre, puis une autre puis encore une autre apparut derrière les arbres du cimetière. Fredo se mit à chanter un air guttural et lugubre. Elle eut l’impression d’entendre une musique sombre et lourde s’échapper des caveaux. Il lui sembla entendre des bris de voix provenant de partout à la fois, de percevoir des bruits de pas de moins en moins feutrés.
Et puis tout s’arrêta.
Elle se retrouva prise dans un filet doré et ultra résistant.
« LES CHASSEURS DE DIEU ! », cria quelqu’un.
En un instant, Glydis redescendit sur terre et se rendit compte de ce qu’il se passait.
Les troupes du Palais avaient enfin retrouvé leurs traces. Ils étaient piégés comme des opossums.
Elle se tourna vers Fredo et vit qu’il avait disparu. « Fredo ! », cria-t-elle.
Le silence lui répondit. Mais ce silence contenait toute la terreur des Votants de la Terre qui voyait leur monde s’écrouler. Peu parvinrent à s’enfuir. Ceux qui échappèrent au filet se firent harponner et s’écroulèrent, morts ou évanouis, Glydis n’en sut rien.
En un rien de temps, elle se retrouva dans un fourgon, et elle comprit que le temps de l’insouciance et des plaisirs faciles était terminé.
Elle avait peur. Et toujours ces ombres qui la suivaient et l’observaient. Qu’avait-elle réveillé avec ses bêtises ?
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TEMPS DE TENEBRES
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C’était un temps de dépravation et de déchéance morale. C’est ainsi en tous cas que les tenants des prophéties voyaient l’époque. Mais ils n’étaient plus qu’une poignée à prendre ces annonces soi-disant dictées par un souffle divin pour argent comptant.
L’argent, justement… Il pourrissait tout, à commencer par les relations humaines. Nulle religion n’était aussi forte que son culte. Ses dévots les plus extrémistes étaient prêts à vendre père et mère, frère et sœur en esclavage pour en obtenir davantage.
Les temps bénis de l’empereur Ashoka, faits de justice et d’amour du prochain, semblaient bien loin. Seuls quelques énergumènes s’échinaient à perpétuer son héritage dans le sud du continent. Le chef Harsha, descendant d’Ashoka, avait créé un territoire où humains et non-humains pouvaient coexister dans la paix la plus totale. Cette « expérience » était vue par le reste du monde, au mieux comme farfelue, au pire comme une entrave à la domination humaine sur le vivant, qu’il fallait éliminer à tout prix. Harsha dut donc se défendre à maintes reprises, violant son vœu de non-violence. Mais tel était le prix à payer pour garantir la tranquillité de son peuple. Ce faisant, il perdit en crédibilité sur la scène internationale, tandis que son sanctuaire attirait de plus en plus de novices en quête d’une autre façon de vivre, ou plutôt d’un nouveau sens à leur vie. La plupart abandonnait dans les six mois suivant leur arrivée, tant cette vie d’abstinence et de renoncement leur était difficile. Ils retournaient dans le monde des matérialités et des plaisirs faciles et futiles. Leur cœur, purifié un moment, se regonflait d’orgueil et de toutes sortes de choses nauséabondes, qui en arrêtaient les battements précocement.
Le reste du continent était divisé en plusieurs Etats. Deux formes de pensée se partageait les peuples.
Le premier était de courant démocratique. Des assemblées d’anciens étaient consultés pour les décisions importantes, et leurs avis étaient transmis à la population. Celle-ci faisait ensuite l’objet d’un référendum, et la majorité obtenait gain de cause. Cette façon de gouvernance avait bien sûr ses failles, car les discussions étaient très souvent fort longues et animées, et les décisions n’étaient presque jamais exécutée jusqu’au bout, les recours étant fort nombreux, et le compromis devenant la règle absolue. Néanmoins, les points de vue de chacun étaient entendus, et l’Etat était donc l’affaire de tout le monde. Cette éducation commençait dès le plus jeune âge, avec les comités de classes.
Différentes religions avaient émergé au cours de l’Histoire. Elles avaient forgé l’histoire du continent, mais désormais, dans ces mondes démocratiques ou plutôt gérontocratiques, ces cultes étaient rejetés dans la sphère privée et ne faisait plus l’objet d’aucune subvention publique. Nombre de temples avaient été reconvertis en marchés et en lieux de justice. Celle-ci était douce et l’enfermement n’était pratiquement plus appliqué, remplacé par des peines de travaux d’intérêt général. De grands édifices avaient été bâtis par ce biais, notamment des barrages.
Chacun devait mériter sa pitance, et travailler pour cela, les oisifs n’étaient pas tolérés. Ceux-ci étaient astreints aux travaux collectifs. De grandes disparités entre classes sociales en fut le résultat, mais le passage vers une classe supérieure était chose aisée pour qui s’en donnait la peine. Il suffisait d’avoir du cœur à l’ouvrage.
L’argent circulait facilement dans ces Etats, mais cela généra donc une nouvelle forme de religiosité, marqué par une fascination excessive et un développement de l’individualisme, voire de l’égocentrisme. La Religion du Moi gagnait chaque jour du terrain.
Néanmoins, la vie était paisible, et son niveau assez élevé, même pour les plus pauvres.
Les Etats qui relevaient de cette conception de la vie étaient constituées en républiques et avaient pour nom Gandie, Parflora et Zhenxia. Ils étaient concentrés au nord et à l’ouest du continent.
A eux seuls, ces pays comptaient les deux tiers de la population du continent, à savoir trois milliards d’humains à peu près.
A intervalles réguliers, les dirigeants de ces pays se réunissaient au centre de la Réserve, la grande étendue non-habitée qui occupait l’arrière du continent, et qui était dévolu aux expériences scientifiques, consacrés à la flore et à la faune, mais aussi à l’étude des astres et aux comportements telluriques, notamment par l’étude des volcans. Au pied du Mont Azura, nommé ainsi car constitué en majeure partie d’une pierre bleu vif nommée azurite, ils décidaient de contrats commerciaux, d’alliances stratégiques, et passaient la soirée à festoyer en admirant les lueurs fantasmagoriques émanant du volcan, toujours actif mais non dangereux.
Ce monde aurait pu être le paradis sur terre, mais une maladie pernicieuse le rongeait de l’intérieur, comme un cancer. La soif de richesse et la volonté de se démarquer des autres, d’avoir toujours raison, de se valoriser au mépris de ses frères et sœurs, poussaient de plus en plus de gens à des comportements immoraux et faisait grandir l’esprit de fronde. Pareils à des enfants gâtés, ces personnes au cœur devenu sec et pourri réclamaient de plus en plus de droits et ne voyaient aucun problème à ce que cela se fit au détriment des droits des autres. Un vent de rébellion soufflait donc, surtout à Parflora, où un certain Bart le Rebelle faisait de plus en plus d’adeptes et fomentaient des attentats devant les lieux de pouvoir. Ces actions étaient plus symboliques qu’autre chose, consistant en projection de peinture sur les monuments ou certaines personnalités, ou en barrages sur les voies de circulation stratégiques, et ne faisaient heureusement jamais aucune victime. Leurs revendications concernaient une certaine forme de justice sociale et de redistribution des biens pour éviter que la plupart ne se retrouvent aux mains de quelques familles qui auraient eu ainsi les pleins pouvoirs sur leurs congénères.
Ces actions paraissaient bien innocentes à certains, mais d’autres en étaient vivement excédés.
Le rapport à la Nature était assez ambivalent dans ces pays. L’industrie des biens de consommation exigeait une exploitation drastique des ressources naturelles, mais en même temps, un retour au respect de toute forme de vie et à un mode de vie plus sobre faisait son chemin, certains étant pleinement conscient qu’en asservissant le monde autour d’eux, ils sciaient la branche sur laquelle ils étaient affalés.
Penchons-nous maintenant sur les autres mondes, des royaumes où la vie était bien différente.
Xantia et Atlan étaient deux très grands pays qui comptaient chacun plusieurs centaines de millions d’individus. Ils se situaient à l’extrême est du continent, au-delà de la Réserve, dans le pays du froid et de la nuit. En-dessous d’eux, La Selpie et L’Hydrangotie étaient beaucoup plus petits, mais c’étaient des lieux d’intrigues et de conspirations, un véritable nid d’espions qui n’avaient de cesse d’affaiblir au maximum les pays démocratiques.
Car leur Histoire et leur philosophie de vie était bien différente.
Ces régimes avaient évolué vers des formes de pouvoir beaucoup plus autoritaires, où tout ou presque était concentré entre les mains d’un seul individu et où la place de la religion était centrale.
Non la religion de la Divinité Unique, mais les formes les plus primitives et sauvages du sentiment mystique, celles qui provenaient du fond des âges et avaient permis aux plus lointains ancêtres de commencer à ordonner et à donner un sens au monde hostile dans lequel ils vivaient alors.
Les sacrifices humains, notamment, furent remis à l’honneur.
L’adoration de la Nature sauvage constitua également l’un des fondements de cette société. Les manifestations de la Volonté divine étaient sensées se matérialiser par les forces naturelles. Une pluie drue, une sécheresse, une brise étaient autant de signes à interpréter, d’où la grande importance de la classe des devins. La plupart étaient des femmes, enlevées très tôt à leurs familles et élevées de façon très dure dans des centres spirituels, où les sévices, notamment sexuels, étaient monnaie courante.
Des cérémonies où les participants entraient dans des transes spectaculaires scandaient la vie de ces communautés, où tout était commun, y compris les partenaires affectifs et sexuels. Les enfants étaient élevés en communauté et initiés aux mystères du monde dès leur prime enfance. L’éducation physique faisait pleinement partie de leur cursus, et ils devaient passer par une phase où ils étaient lâchés au milieu de la grande forêt sauvage des Monts Drageus, peuplée de créatures immondes et assoiffées de sang, et y survivre ! Le taux de retour était très bas, et personne ne pleurait, en tous cas publiquement, les disparus.
Les plus courageux et astucieux rejoignaient une armée d’élite au service du souverain.
Nombre de légendes et de récits fabuleux, tous plus horrifiques les uns que les autres, circulaient sur ces mondes dans les pays où l’écoute de la population avait force de loi.
Deux conceptions du monde si différentes ne pouvaient que s’affronter ouvertement un jour ou l’autre, me direz-vous.
C’est ce qui arriva mais pas dans les circonstances que vous imaginez.
L’antagonisme entre les deux blocs se faisait de plus en plus virulent. Ce fut le roi de Xantia, Kentaurus, qui passa à l’attaque.
Cet être était vénéré par son peuple comme une incarnation du Dieu céleste universel, celui qui domine tous les autres et à le pouvoir absolu sur les forces de la Nature. Et de fait, il sembla qu’il pouvait déclencher pluies, inondations, incendies et même tremblements de terre à volonté. Lorsqu’il évoquait les forces naturelles, une ombre se dessinait derrière lui, une forme mouvante aux contours fantomatiques. Il s’agissait sans doute, disait-on, d’une hallucination collective, mais certains pensait que cette ombre était bien réelle et provenait des sphères non matérielles.
Le roi avait une carrure de taureau. Ses longs cheveux gris et sa barbe imposante imposait le respect et il se drapait toujours dans sa soutane blanche brodée de rouge, signe de sa distinction.
Il présidait lui-même aux sacrifices, n’hésitant pas à tuer de ses mains celles et ceux qui avaient l’insigne honneur de rejoindre ainsi le Paradis de Tupulka, le dieu du Sang et de la Guerre. Une vie heureuse et radieuse était sensée les y attendre.
Un jour, il déclara la guerre sainte et que tout le monde devait se tenir prêt à combattre.
Personne n’osa protester car le pouvoir du roi était absolu. Nulle voix n’était assez forte pour s’opposer à lui. Les gens, pressurés et affamés, n’avaient pas la force physique ni morale de se révolter.
Kentaurus voulut prouver son pouvoir supérieur en manipulant à sa guise les phénomènes célestes.
Ce ne fut pas avec une bombe qu’il s’attaqua aux pays démocratiques mais via un météore. Une boule de roche venue du fin fond de l’Univers, capturé par la volonté mentale du roi, et dirigée vers le pays de Gandie, qui fut pratiquement rayé de la carte.
L’impact fut ressenti à des milliers de kilomètres à la ronde et les dégâts furent considérables. Au moins trois cent millions d’individus furent tués sur le champ. La nuit qui enveloppé le monde pendant sept mois et demie en acheva quelques centaines de millions d’autres, et quand la lumière du soleil parvint à se frayer à nouveau un passage à travers les nuages de poussière, le monde du Nord et de l’Ouest était dévasté. Tout était à reconstruire.
Les pays de la Barbarie, comme les appelaient les citoyens de l’autre camp, s’en sortirent bien mieux car, prévenus bien longtemps à l’avance, ils avaient pris les précautions nécessaires. Les greniers à blé étaient remplis à ras bord, un dôme diffusant une lumière artificielle semblable à celle du soleil avait été installé au-dessus des Etats concernés, et les retombées de la chute ne les touchèrent pas.
Les dirigeants des pays démocratiques, ou ce qu’il en restait, se réunirent dans la Réserve. Le but était clair : préparer la reconstruction et faire en sorte que cela n’arrivât plus jamais.
Kentaurus leur porta le coup de grâce.
Il fit larguer une bombe nucléaire au-dessus de la Réserve, dont le dôme antiaérien avait été détruit par le souffle de la météorite. Elle explosa à une douzaine de kilomètres du volcan, mais la vague de feu fut si puissante qu’elle calcina tout dans un rayon de 150 kilomètres, débordant même les limites de la Réserve, sur le territoire de La Selpie. La reine de ce pays demanda des comptes à Kentaurus, et une guerre éclata entre elle et Kentaurus. Les autres monarques s’en mêlèrent, et tout fini en un conflit généralisé en Barbarie, au cours de laquelle des armes chimiques et nucléaires furent utilisées.
Kentaurus disparut. Nul ne sut ce qu’il était advenu de lui.
Tous ces évènements se produisirent durant la jeunesse de Tancrède et de Glydis. Vanya naquit peu après et Syphax, que nous ne connaissons pas encore, vint au monde des années plus tard.
La religion, accusée d’avoir fanatisé les peuples de la Barbarie, fut honnie à jamais, et une nouvelle société se développa sans elle, celle de la Reconstruction.
Mais voici que les éléments naturels, une fois de plus, risquait de mettre ce nouveau monde à bas. Le soleil cette fois-ci …
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PASSATION …
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Ils étaient quatre. Transis de froid, juchés sur un énorme pylône de pierre, au centre de la grand-place de Pleroma. Ils tremblaient, mais c’était la peur et non le froid qui faisait tressaillir leurs membres. Tancrède, Vanya, Glydis et Sphynax. Ils attendaient leur condamnation qui allait être prononcée par la bouche même de la Grande Adoratrice.
Dix-sept jours avaient passé depuis le décès de l’Arkhonte. Dix-sept jours où leur monde avait complètement basculé dans une nouvelle ère d’horreurs et d’incertitude.
Dès l’annonce du grand malheur, une foule nombreuse avait envahi les couloirs du Palais pour rendre hommage à celui qui avait tenu les rênes de Pleroma pendant tant d’années.
Tancrède était alors dans la salle communautaire du Redemptoris, le centre de soins où il était sensé se repentir de ses erreurs avant de réintégrer la société. Il vécut ce moment historique à travers les images transmises en trois dimensions au milieu de la pièce par la télévision.
Il vit la procession de tous ces gens affligés, orphelins de leur père spirituel. Le garde chargé de le surveiller était absorbé par le récit des évènements, au détriment de sa tâche.
« C’est incroyable », dit-il avec peine. « Je l’ai toujours connu. Inconsciemment, je le pensais immortel. Et voilà, c’est arrivé, il est mort », finit-il presque dans un sanglot.
Tancrède le considéra. Le jeune homme devait avoir la petite trentaine. Sa silhouette fluette et son apparente timidité ne collaient pas avec la dureté de son métier. En regardant plus attentivement au travers des hologrammes, juste en face de lui, de l’autre côté de la pièce, Tancrède vit la silhouette d’une femme. Elle semblait fine et jolie. Ses longs cheveux retombaient sur des épaules nues dont la blancheur était rehaussée par le rouge écarlate de sa tunique. Absorbée par la contemplation des actualités, elle ne sembla pas le remarquer.
« Tout passe et rien n’est éternel », répondit-il enfin à son jeune geôlier, après quelques instants de suspens.
Le lendemain, Tancrède revêtit sa plus belle chemise à fleurs et se peignit soigneusement la barbe. Peut-être reverrait-il la belle dame ? Comme chaque jour, il put téléphoner au centre de soins où son père avait été amené. On l’assurait que les meilleurs traitements lui étaient prodigués.
« Papa, ça va ? »
« Oui, mon fils, oui. »
Tancrède poussa un soupir de soulagement. Il avait craint que son aïeul ne le reconnusse pas, comme deux jours auparavant.
« Tu as vu les nouvelles ? L’autre vieux schnock est enfin passé à gauche… »
« Oui, papa. Difficile de ne pas le savoir, on ne parle que de ça. »
« Quand est-ce qu’on rentre à la maison ? »
« Bientôt, papa, dans quelques jours, promis. Je dois d’abord terminer ce que j’ai à faire, puis je viendrai te chercher. »
« Dis-moi, tu n’as pas fait de conneries, hein ? », dit le vieil homme de sa voix rocailleuse et accusatrice.
« Mais non, papa », soupira Tancrède. Il avait horreur de mentir à son parent, mais il ne pouvait pas lui faire partager la honte de son arrestation.
« Allez, papa. Je vais devoir te laisser. Prends bien tes médicaments et suis les recommandations du médecin. »
Tancrède savait que son père était en sécurité et bien soigné. Les progrès étaient d’ailleurs bien visibles, mais il n’aimait pas en être séparé trop longtemps.
Il eut ensuite une petite conversation avec la jeune femme chargée du vieil homme. Elle lui assura que tout se passait bien, et que cette période de séparation forcée était en fait une opportunité extraordinaire pour tester de nouveaux protocoles.
« Ainsi, mon géniteur est un cobaye », pensa Tancrède au fond de lui-même.
Dans la salle du petit-déjeuner, parmi les toxicos, les drogués du jeu et ceux qui se prenaient pour le Messie, Tancrède laissa son regard vagabonder dans l’espoir d’apercevoir la dame entraperçue la veille. Il la trouva rapidement et eut un choc en constatant que son regard était braqué sur lui. A bien y regarder, elle n’avait pas un physique exceptionnel, mais il émanait d’elle un magnétisme et une sensualité quasi animaux. Elle était exactement comme la veille. D’un signe de tête, elle l’invita à s’asseoir en face d’elle. La table, prévue pour quatre, leur permettrait de prendre leurs aises.
Comme un automate, Tancrède s’exécuta. Non qu’il soit intimidé, mais un pressentiment le tenaillait.
« Bonjour. Je m’appelle Glydis. »
« Tancrède. »
Elle lui tendit la main, qu’il récupéra dans la sienne pour la saluer.
« Quel drôle de nom », eut-elle l’audace de lui dire. « Pourquoi êtes-vous ici ? »
Silence.
« Vous ne voulez pas me le dire ? »
« Et vous-même ? », lui répondit-il du tac-au-tac.
« Dans le mille. », admit-elle. « D’accord, laissons cela au rayon des mystères. D’où venez-vous, Tancrède ? »
« De chez moi », lâcha-t-il.
« Vous êtes toujours comme ça ? »
« Comme quoi ? »
« Comme maintenant. À ne répondre que des évidences. J’ai eu la gentillesse de vous inviter à ma table. Vous pourriez y mettre un peu du vôtre, non ? »
« D’accord. Excusez ma maladresse. Mais nous ne nous connaissons pas et je suis d’un naturel méfiant. »
Glydis se radoucit instantanément.
« Je comprends. Je suis pareille. Je vous ai vu tellement désemparé hier soir que j’ai eu pitié de vous. »
Tancrède ne sut comment prendre cette dernière remarque.
« Là, c’est moi qui ai été maladroite. »
« Ne vous en faites pas ! »
Elle lui prit les deux mains. Tancrède les retira immédiatement, mais c’était trop tard. Le phénomène s’enclencha aussitôt.
Un temple. C’est le crépuscule. L’obscurité est rompue par des centaines de torches. Sur le parvis de l’édifice, des gens. Ils sont jeunes. Trop jeunes encore pour que les poils poussent au menton des jeunes hommes, et pour que les filles aient eu leurs premières menstruations. Ils sont pauvres, ils sont sales, ils ont faim.
La rumeur court depuis plusieurs semaines que des bandes de mineurs, comme eux, s’en sont allés par monts et par vaux pour rechercher le mythique territoire du dieu du Ciel. Un pèlerin, revenu de cette contrée, en a révélé tous les délices : de la nourriture à foison, de beaux vêtements pour tous, tissés par des nymphes avec les étoffes les plus riches, un printemps perpétuel qui ne fait plus craindre les frimas de l’hiver et les chaleurs de l’été. Un monde sans guerre, sans maladie, sans infirmité.
Depuis, des bandes de désespérés se lancent à leur tour à la recherche de ce lieu de félicité.
Elle est l’une d’entre eux. Dans cette vie, elle est aussi une fille. Et là aussi, il émane de ce corps en apparence frêle un sentiment de domination sexuelle. Malgré son jeune âge, elle a sans doute déjà connu un ou des amants. Probablement des types dans la force de l’âge et non le genre de puceaux qui l’environnent d’ordinaire. D’ailleurs, tout le monde la regarde bizarrement, comme si c’était une paria. Elle n’en est pas vraiment une mais des histoires circulent sur elle.
Physiquement, elle ressemble à celle que Tancrède a en face de lui. Une version plus juvénile. Mais elle aussi a les crocs, elle aussi rêve de troquer ses haillons contre de belles tenues élégantes. Elle aussi veut ce que la vie a de meilleur à offrir.
Alors, elle suit. Elle s’embarque dans la grande épopée. Les parents ont beau pleurer, supplier, menacer, rien n’y fait. Le cortège s’ébranle et prend la direction de l’Est.
Elle suit, elle chemine, elle marche des jours durant, dormant à la belle étoile, partageant avec les autres une maigre pitance glanée ça et là. Les jours suivent et se ressemblent. A chaque lever de soleil, l’espoir se ranime. A chaque coucher de soleil, c’est le même désenchantement. Le paradis céleste existe-t-il ?
Durant ces longues journées, pour passer le temps, elle fricote avec l’un ou l’autre. Et un jour, c’est le drame. S’étant isolée pour satisfaire un besoin naturel, elle n’a pas le temps de rabattre sa pelisse. Des mains l’attrapent par les hanches et la jettent à terre. D’autres mains relèvent la jupe et découvrent le pubis. On lui ouvre les cuisses de force. Elle voudrait crier mais l’un la bâillonne avec sa main droite, l’autre la tenant fermement comme le ferait une tenaille. Elle griffe, elle veut mordre mais le poids de ces deux corps sur elle lui enlève toute liberté de mouvement. Le premier la pénètre, sauvagement, sans préparation. Il va et vient en elle en rugissant. Ça fait mal, elle sent que son intérieur est en sang. Heureusement, ça ne dure pas longtemps. En deux minutes à peine, il a terminé son affaire. Mais le second prend le relais. Et lui prends son temps. Pendant qu’il s’exécute, il la gifle violemment. Il l’insulte. Il la traite plus bas que terre. Ses halètements de bête sont de plus en plus forts. Et enfin, c’est la délivrance. Il libère sa semence en elle dans un cri de victoire, tandis qu’elle comprend que son supplice prend fin.
Ils se rhabillent promptement pour s’en vont en lui crachant dessus et en riant. Elle est seule. Elle est salie, détruite, déshonorée. Elle avait déjà connu des mâles, mais pas comme ça, pas hors de sa volonté, pas dans cette violence et ce mépris.
Elle parvient à se relever. Elle titube. Des traînées de sang la suivent. Elle est sur ce chemin caillouteux. Elle voudrait crier à l’aide mais n’y parvient pas. Elle trébuche. Une fois. Deux fois. A la troisième, elle bascule. Son corps ne lui a jamais paru si lourd. Elle tombe dans le précipice. Sa tête cogne la paroi. La lumière s’éteint. Elle ne ressent plus rien, pas même le dégoût.
Tout s’arrête. Tancrède est hors d’haleine. Tout le monde a cessé de manger et le regarde.
Glydis est debout, l’air totalement désemparé.
« Qu’est-ce qui s’est passé ??? Qu’avez-vous vu ??? »
« Rien…rien…J’ai parfois des absences, ce n’est pas grave… »
« Je ne vous crois pas !!! », hurla-t-elle, attirant l’attention des gardes. « J’ai entendu qu’une sorte de gourou prétendait voir le passé des gens, c’est vous n’est-ce pas ? »
Sans attendre de réponse, elle quitta la pièce en courant, comme une folle.
Le lendemain, ils se retrouvèrent comme si de rien n’était dans la salle du petit-déjeuner. Quand Tancrède entra, il vit quelques regards qui passèrent rapidement sur sa personne puis qui retournèrent se poser sur leurs plateaux-repas. Elle était à la même table que la veille, l’air morose. Sans lui demander la permission, il s’assit en face d’elle.
« Ça va mieux ? »
« Oui », balbutia-t-elle. « Je suis désolée pour hier, vous avez dû me prendre pour une folle »
« Mais non. C’est de ma faute, j’aurais dû vous prévenir », répondit-il en déballant son pain au chocolat.
« Au moins maintenant, je sais pourquoi vous êtes ici », compléta-t-elle avec un clin d’œil.
« Déjà, on peut se dire « tu » ».
« Si tu veux »
« Et effectivement, le barjo qui voit le passé des gens, c’est moi. »
« Quand tu dis passé, c’est vraiment d’un passé lointain dont il s’agit, c’est ça ? C’est de vies d’avant dont il est question ? »
« Oui, enfin, je crois. »
« Tu crois ? »
« Je ne connais pas trop le phénomène moi-même, à vria dire. »
« Pourtant, tu te faisais payer pour tes consultations, non ? »
« Oui, mais… »
Il s’interrompit dans sa protestation car des cris perçants provinrent soudainement du couloir. Par l’entrebâillement de la porte, ils virent deux gardes traîner un garçonnet qui hurlait comme un diable et se débattait comme une furie.
« Ce n’est pas vrai ! », s’exclama Glydis. « Ils s’attaquent même aux gosses maintenant. Il a quoi, 10 ans, 11 ans ? Je suis la seule que ça choque ? », dit-elle plus fort en balayant le réfectoire du regard.
« Ce monde devient cinglé. J’aimerais bien savoir ce que ce môme a fait pour mériter d’être ici. C’est comme celle-là. »
D’un mouvement de tête, elle lui désigna une jeune fille au teint basané, picorant seule dans un coin de la pièce, les yeux baissés, ne prêtant pas la moindre attention en apparence à son entourage.
« Ça fait une semaine qu’elle est ici, et je n’ai pas entendu le son de sa voix. »
Un grand gaillard, à une table voisine, qui n’avait manifestement rien perdu de la conversation, eut le toupet d’intervenir.
« Paraît qu’elle a tué son frère. »
Vanya tressaillit. Avait-elle entendu ? Toujours est-il qu’elle se leva précipitamment, déposa sur l’étagère dévolue son plateau, à peine entamé, et quitta la pièce avec grand fracas.
« Décidément, ça devient compliqué de déjeuner en paix. », conclut Glydis en buvant une rasade de jus d’abricot.
Dix jours après son décès eurent lieu les funérailles de l’Arkhonte. Les résidents du Redemptoris purent suivre la cérémonie depuis les balcons, l’édifice étant proche du Palais, ou sur l’écran de la salle commune. L’atmosphère était lugubre. Le soleil lui-même n’émettait qu’une pâle lueur qui parvenait juste à percer la masse de nuages gris qui surplombait Pleroma. Certaines personnes craignirent que l’astre ne s’éteigne d’un coup, plongeant le monde dans une obscurité totale et terrifiante. Et si la Grande Illumination cédait finalement sa place à une Grande Ténébration ?
Tancrède, Glydis, Vanya et les autres virent le cortège funéraire, précédé de la cohorte des pleureurs professionnels. Ceux parmi la foule qui ne manifestaient pas assez de tristesse étaient fouettés avec des lanières de cuir. Chacun et chacune s’efforçaient donc de prendre l’air le plus contrit possible. Seulement trois kilomètres séparaient le Palais de la place centrale, mais la foule était si dense qu’il fallut sept heures au cortège pour effectuer le chemin. Une fine pluie s’invita dans le courant de la journée, renforçant la sensation de désespoir. Le tout sur fond de litanies d’une noire profondeur inimaginable.
Comme l’on s’y attendait, la journée de deuil fut troublée par quelques agitations des Fils du Soleil, vite réprimées cependant.
Parvenu enfin au centre de la Grand-Place, le corps du vieillard, visible au travers de son sarcophage de verre, fut posé sur un catafalque. Son successeur désigné, la Premier ministre Blemnis, entouré des Douze Sages, rendit ses derniers hommages à son prédécesseur Anselme. Le silence se fit. Puis le sarcophage s’illumina, d’une radiance de plus en plus forte, jusqu’à ce que le regarder directement devint impossible. Même les personnes qui observaient la scène via un écran durent baisser les yeux. Quand la clarté redevint supportable, toutes et tous virent que la chose s’était produite. On attendit que la lumière soit complètement dissipée pour constater que le sarcophage avait disparu. L’Arkhonte avait bel et bien disparu de ce monde.
Tandis que le visage du nouveau maître de Pleroma occupait tout l’écran, Glydis ne put s’empêcher de murmurer à l’adresse de Tancrède : « Et maintenant ? Que va-t-il se passer ? »
« Au mieux, rien ne change et on continue comme avant, au mieux ce sera la dictature et nous n’aurons plus à nous soucier de rien puisque tout nous sera dicté. »
« Nous n’aurons qu’à suivre. »
« C’est bien cela. »
L’image s’arrêta alors sur Sylgrid, le protégé de l’Arkhonte Anselme. Il ne semblait pas se rendre compte de ce qui se passait. Il était dans sa bulle, absorbé par son petit jeu, un simulateur en 3D qui retraçait en quelques instants l’histoire de la planète.
« Et lui, que va-t-il; devenir ? », s’inquiéta encore Glydis.
Le lendemain, la politique générale du nouvel arkhonte Blemnis fut promulguée. Tout le monde poussa un soupir de soulagement lorsqu’il apparut qu’il était dans la continuité d’Anselme. La priorité des priorités restait la Grande Illumination. Comment s’en prémunir ? Comment peut-être la stopper ?
Tancrède et Glydis, arrivés en même temps au Redemptoris, décomptaient les jours avant leur retour chez eux. Ils s’étaient attachés l’un à l’autre et, chacun de son côté, éprouvèrent un petit pincement à la pensée de la séparation. Mais mieux valait ne pas se revoir, leur rencontre étant liée à un moment pénible de leur existence.
Tancrède se réjouissait de revoir son père mais redoutait le retour à la normale. Sans le secours de sa petite activité illicite, comment allait-il joindre les deux bouts ?
Quant à Glydis, réussirait-elle à garder la tête froide et à ne plus succomber à son vice ?
Dix-sept jours s’étaient écoulés depuis le décès d’Anselme. La journée avait débuté comme les autres. Mais en fin de matinée, un grand tumulte se fit dans les rues.
Des foules de gens hurlant se précipitaient vers le Palais. Des fumigènes et des explosions retentirent. De-ci de-là. Des chants guerriers s’exhalèrent de centaines de poitrines. Les Fils du Soleil semblaient exulter et arboraient un air de triomphe.
Dans le Redemptoris aussi, l’atmosphère était électrique.
Chaque résident fut extirpé de sa chambre et amené dans la salle commune.
Enfin, le Directeur arrivé, l’air solennel. La télévision était toujours allumée et les caméras étaient désormais braquées sur le balcon principal du palais, là même où l’ancien Arkhonte avait prononcé sa dernière allocution. Il était vide, mais l’on pouvait deviner que, derrière les fenêtres, régnait une très grande agitation.
« Mais que se passe-t-il ? », osa quelqu’un dans la salle.
« C’est un jour historique !!! », exulta le Directeur. « Une nouvelle ère commence ! ».
« Comment ça ? Qu’est-ce que Blemnis va nous annoncer ? Une amnistie générale ? », ricana une petite dame fripée arrêtée pour trafic de drogues.
« Non pas Blemnis », fit le Directeur, « mais Sylgrid. »
Tout le monde prit un air ahuri, tandis que, dehors, les chants redoublèrent, ainsi que les détonations.
« Sylgrid a fait exécuter Blemnis, neuf des Douze Sages, et vient de s’emparer du pouvoir. »
Personne ne pipa mot. Le choc se marqua sur chaque visage. La dame fripée ricana puis se tut.
« Ce n’est pas une blague, mes amis. » continua le Directeur. « Nous ne pouvions plus continuer comme ça, un virage radical s’imposait, et ce virage, c’est Sylgrid qui a eu le courage de l’amorcer. »
« Syl… Sylgris ? Le gamin derrière l’Arkhonte ? »
« Non, c’est une plaisanterie ! »
« Vous pensez que tout se qui se passe dehors est une farce ? », hurla le représentant de l’Etat, qui perdit d’un coup sa bonhomie. « Vous ne comprenez pas que plus rien ne sera plus pareil ? »
Tous regardèrent l’écran puis se tournèrent vers la fenêtre du local qui donnait sur le Palais.
Sylgrid, cet adolescent chétif et effacé, venait d’apparaître au balcon. Tout le monde put voir son air déterminé. D’autant mieux qu’il avait enlevé son masque.
Quelques heures plus tard, nos héros se retrouvaient debout sur cette colonne, face au nouveau maître du monde.
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SOYEZ MAUDITS
La lumière du soleil baignait de ses rayons le balcon où se tenait l’adolescente qui avait forcé la trame de l’Histoire. Son peuple, puisque désormais c’était bien le cas, vit pour la première fois ce visage jusqu’ici caché par un masque d’argent. Et il s’avéra que c’était bien celui d’une jeune fille, bien qu’elle eut des traits durs et virils.
Ses traits ne détonaient en rien, et nul ne comprit pourquoi il avait fallu les soustraire aussi longtemps. Pas d’infirmité honteuse, de cicatrice dévisageante, mais une langueur évidente, sur une face sans grâce mais pas laide non plus. Un physique tout à fait banal en somme, un teint légèrement hâlé, et de petits yeux inexpressifs.
Personne ne pouvait s’imaginer qu’elle était la responsable du massacre qui venait de se perpétrer au palais. Les rumeurs les plus folles commençaient déjà à circuler. On disait qu’elle avait eu recours au poison lors d’un repas, d’autres prétendirent qu’elle avait fait appel à la garde pour les poignarder à mort. Mais comment avait-elle pu rallier l’armée à sa cause, elle, une simple enfant ?
Le silence se fit lorsque la bouche de la jeune fille s’ouvrit. Tout le monde attendit le premier mot qui en sortirait.
Un souffle.
« Moi… » Voix mal assurée. Silence. Elle reprit d’un ton plus affirmé : « Moi, Sylgrid, ait pris le pouvoir et nous ai débarrassé de ceux qui menaçaient notre liberté, et jusqu’à nos vies mêmes. »
Ses paroles étaient répercutées à l’aide d’une bouche artificielle qui amplifiait les sons les sons, une nouvelle invention.
La suite se fit attendre quelques moments.
« J’ai eu vent d’une conspiration, d’un plan machiavélique et diabolique consistant à tous nous abandonner face à la Grande Illumination. Je ne pouvais pas les laisser nous condamner ainsi à mort. J’en ai informé Horestia, notre Générale en cheffe, et avec son aide, nous avons déjoué ce plan ignoble et puni leurs instigateurs. »
Les fenêtres de part et d’autre du balcon s’ouvrirent. Des cadavres en furent jetés, qui s’écrasèrent lourdement sur le sol deux étages plus bas.
Les corps ne portaient aucune trace de violence, prouvant que leur mort fut rapide si pas instantanée.
La foule assemblée devant l’édifice était sidérée. Le silence était terrifiant et consistant. Horestia se plaça à la gauche de Sylgrid. Chacun put entendre le moindre de ses pas. Sans que la masse ne s’en rende compte, les escadres du Palais l’avait encerclé.
Alors la nouvelle Arkhonte déclara d’une voix forte, du feu dans les yeux : « J’abolis l’Arkhontat. Dorénavant, je serai la Grande Adoratrice, celle qui évitera la catastrophe ultime en ressuscitant l’ancien culte au Soleil ! »
Elle se tourna, bras levés et paumes dirigées vers le ciel, dans la direction de l’astre brûlant, tandis que le Révérend apparut à sa droite.
Horestia s’exclama : « Désormais, pour rendre hommage à votre Grande Adoratrice, il conviendra de faire ceci. »
Et elle se tapa vigoureusement la poitrine de sa main droite puis la ramena sur le front, paume vers l’extérieur, majeur et annulaire repliés.
« Ceci exprime la force, ceci exprime la lumière qui se fraie un chemin au milieu des ténèbres, ceci exprime l’espoir. »
Elle refit le salut et exhorta tout le monde à faire de même. Certaines personnes le firent de suite, avec un regard fanatique.
Ceux qui virent ces scènes de leur écran de télévision n’en revinrent pas. Une enfant de treize ans avait subjugué la cheffe des armées et toute une population déjà fragilisée par les derniers évènements.
« Et maintenant, les prisonniers », lança l’autoproclamée Grande Adoratrice en se retournant vers eux. Son regard mauvais perça le cœur de Tancrède.
Prisonnier… Le mot claqua comme un fouet. Il n’avait plus été utilisé depuis des années. Mais Tancrède et les autres durent s’y résoudre : ils étaient désormais les otages d’une folle, comme tout le peuple de Pleroma.
« Vous me prenez pour une cinglée, n’est-ce pas ? », ricana-t-elle.
Tancrède se sentit désarmé. Lui, Glydis, Vanya et Syphax étaient juchés sur une colonne dont on ne savait si elle était de pierre ou de métal, mais qui faisait bien cinquante mètres de haut. Ils étaient pile au centre de la Grand-Place.
De part et d’autre, des colonnes semblables, avec d’autres résidents sortis de force du Redemptoris.
À gauche, un groupe de jeunes hommes, dont celui qui paraissait en être le meneur, avait le visage salement amoché.
À droite, la petite dame fripée, totalement terrorisée, accompagnée d’un vieil homme à l’air roublard, et une jeune fille fluette pleine de tatouages et de morgue.
À ce moment, le ciel s’éclaircit et la chaleur monta d’un cran. Les personnes assemblées sur la place tentèrent de se protéger en mettant une main en visière sur le front. Les premiers évanouissements se produisirent.
« Répondez ! », clama Sylgrid.
« Regardez le dieu Soleil, il nous guide, il nous parle, il va nous mener à la rédemption ! Mais avant, il nous demande de le guérir. Il est malade de toute l’iniquité, de toute la bassesse, de tous les péchés des habitants de Pleroma. Il est temps que cela cesse ! », hurla-t-elle encore.
« Et qui de mieux pour remplir cette mission que celles et ceux qui en sont les plus responsables ? »
Ces dernières paroles furent prononcées d’une voix caverneuse et traînante.
Le peuple, qui semblait désormais fanatisé, exultait et se tourna comme un seul corps vers les colonnes.
« Qu’allons-nous leur demander ? », se moqua la Grande Adoratrice.
« Ils vont devoir se démener pour trouver le remède. Et ce remède existe, croyez-moi ! »
Elle retint son souffle.
« Pendant qu’Anselme et Blemnis péroraient et se pavanaient, j’ai fait des recherches en m’associant aux meilleurs scientifiques de Pleroma. »
Tout le monde se souvint qu’en effet, l’enfant Sylgrid était réputé pour être doué d’une intelligence exceptionnelle, et qu’à un âge très précoce, il écrivait des thèses qui faisait l’admiration ou la jalousie de tout le milieu académique.
« Et nous sommes arrivés à la conclusion…que ce remède doit se trouver dans la Réserve. »
La Réserve, le territoire dévasté par la météorite et la guerre nucléaire. Personne ou presque n’avait plus osé s’y aventurer depuis des années. Les quelques intrépides qui s’y étaient risqués n’en étaient pas revenu. On disait que les radiations y étaient encore si fortes qu’un homme adulte et robuste n’y survivrait pas plus d’un quart d’heure. On y parlait de monstres, de mutants… On disait que c’était la terre des bannis et des renégats.
« Kentaurus. » C’est par ce nom que Sylgrid brisa le silence funèbre qui s’était à nouveau installé depuis son annonce.
« Il commandait aux astres. Il a pu faire tomber un météore quand et où il l’a voulu. Nous sommes persuadés qu’il y a une explication scientifique à cela, et qu’il faille pour cela affronter la Réserve. »
Tancrède et les autres défaillirent. Avaient-ils bien compris ? On leur demandait de se rendre dans un territoire irradié et redevenu totalement sauvage. Cela équivalait à une peine de mort.
Cette fois, ce ne fut pas le silence mais l’exaltation de la foule qui accueillit cette nouvelle. La menace qui pesait sur tout Pleroma et au-delà allait-il être conjuré par le sacrifice de ces pauvres bougres ? L’espoir, en tout cas, était permis.
« Soyez maudits, soyez maudites ! », hurla la petite dame fripée.
Mais personne ne sembla l’entendre.
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INTERLUDE
Ce qui va se passer à partir de maintenant est indépendant de ma volonté. Toutes les barrières tombent et nous pénétrons dans un monde inconnu où les règles sont rebattues, tant est qu’il y en ait. L’impossible devient possible et le possible reste possible mais ce n’est pas certain. Tout change et tout se transforme comme l’Univers lui-même.
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